Il y a quelques semaines, au cours de mes longues pérégrinations sur les sites des orchestres étrangers, j’avais été attiré par le cycle que le London Philharmonic Orchestra et Osmo Vänskä consacraient en cette fin d’hiver aux Symphonies de Jean Sibelius. En raison de ma passion, de mon attirance pour cet univers aussi puissant que mystérieux, je ne pouvais manquer cette nouvelle intégrale, du moins en partie.
Mercredi dernier, j’embarquai donc pour assister aux deux concerts dédiés aux Symphonies n°4 et 5, introduites par le poème Luonnotar, « récité » ici par Helena Juntunen, puis aux Symphonies n°6 et 7, complétées de Tapiola.
Il y avait au moins deux raisons pour lesquelles je fus attiré par ces soirées Sibelius. Tout d’abord, le chef, Osmo Vänskä, reconnu (notamment en Angleterre) comme l’un des experts de la musique du Finlandais, de par l’énorme intégrale de son œuvre qu’il réalisa sous l’égide du label BIS (disponible sur Qobuz). La seconde, le London Philharmonic Orchestra lui-même, l’un des deux orchestres de grande tradition sibélienne dans la capitale britannique. Mais une tradition « anglaise », sans le prisme des Finlandais (Kajanus, Hannikainen) qui marquèrent à tout jamais le London Symphony.
Il y avait au moins deux raisons pour lesquelles je fus attiré par ces soirées Sibelius. Entendre enfin Vänskä dans Sibelius, considéré in UK comme l’un des experts de la musique du Finlandais, et puis le LPO, un orchestre de très grande tradition sibélienne à Londres
Le LPO a appris réellement Sibelius avec des chefs anglais, son fondateur tout t’abord, Sir Thomas Beecham, puis Sir Adrian Boult, autre interprète majeur de Sibelius, mais quelque peu oublié en raison du nombre relativement restreint de ses gravures studio dédiées à ce compositeur, partiellement disponibles sur Qobuz par le biais du label Vanguard – chez BBC Legends existe une Septième d’une beauté intimidante, mais si subtile (pour la découvrir, cliquez-ici).
Entendre Osmo Vänskä, disciple de Jorma Panula, à la tête du London Philharmonic Orchestra, c’était donc un peu confronter, aujourd’hui, l’école finlandaise et l’école britannique. De quelle tradition tient réellement Osmo Vänska ? Depuis une vingtaine d’années, toute une génération de chefs d’orchestre finlandais, tels Jukka-Pekka Saraste et Esa-Pekka Salonen, tendent à donner une vision extrêmement allégée de l’univers de Sibelius. Le cycle que réalisa à Paris il y a deux ans et demi Salonen à la tête du Los Angeles Philharmonic Orchestra accusait fortement cette tendance. Ses interprétations témoignaient d’un art exceptionnel des alliages, des couleurs, des fondus (Finale de la Cinquième), au détriment d’une tension dramatique, d’une survalorisation des contrastes, harmoniques, rythmiques ou sonores, qui incarnent au plus haut point la musique du compositeur finlandais. À cet égard, les interprétations d’Osmo Vänskä témoignaient d’une sensibilité comparable à ses autres collègues finlandais. S’y faisait jour une vision optimiste de la musique de Sibelius, heureuse, douce, chambriste, intimiste, joyeuse.
Acceptons un instant ce message de bonheur parfait. Votons pour un monde dénué de toute noirceur, de toute angoisse existentielle aussi. Un monde sans crainte du néant, qui ne connaitrait jamais la sensation du vide. Telle est notre sensation à l’écoute de la Quatrième Symphonie selon Osmo Vänskä, tellement peu investi dans la tension de la partition, par manque de phrasés et d’ampleur, que ce chef-d’œuvre absolu du début du XXe siècle (écoutez Beecham, Karajan, Barbirolli, Ansermet, Jalass, Hannikainen, Rozhdestvenski) devient la partition d’un épigone peu inspiré de Bruckner, aux textures flasques et aux couleurs monotones. De plus, pas une once d’émotion ne se dégage de cet engagement minimal ou de cette pureté – presque – céleste. La Quatrième Symphonie résiste à de multiples conceptions, à condition d’y faire valoir un art très assuré de la structure. Or, la direction d’Osmo Vänskä témoigne d’une absence totale d’agogique ou de maîtrise des transitions, crescendos ou descrendos de puissance – Allegro molto vivace à bout de souffle.
Pour cette soirée du 3 février, le chef finlandais complétait sa soirée par la moins difficile et aussi plus ardue Cinquième Symphonie du compositeur. Moins difficile dans la mesure où les irruptions de puissance témoignent d’un langage musical si personnel qu’il en devient impressionnant, très percutant. Si Vänskä se signale par une volonté de lisibilité plus prononcée que Salonen il y a deux ans – dans les textures de cordes notamment -, sa réalisation orchestrale pâtit cependant d’une gestique approximative et d’une direction déconcentrée – le cor a complétement manqué son entrée au début du mouvement initial. Au moins l’orchestre de Salonen, chef à la main autrement plus sûre, demeurait-il tout au long de ses quatre soirées parisiennes d’une continuelle perfection !
Sous la baguette de Vänskä, la musique de Sibelius se morfond dans un vide expressif épuisant, quand les musiciens du London Philharmonic Orchestra semblent renoncer toujours plus à un relan de dynamisme
D’autres chefs d’origine finlandaise, tels Hannikainen ou Panula, voulurent atteindre l’épure dans cette symphonie, considérée parfois comme surtout épique et dionysiaque. Là encore, ils témoignaient d’un art très aigu de l’architecture. Or, par exemple, Vänska négocie une transition rapide, très brute, entre les deux parties du premier mouvement, sans laisser au son orchestral la possibilité d’éclore dans toute sa splendeur et sa puissance. Ici, les épisodes se succèdent, sans logique particulière. La musique de Sibelius se morfond dans un vide expressif épuisant, quand les musiciens du London Philharmonic Orchestra semblent renoncer toujours plus à un relan de dynamisme.
La soirée du vendredi s’ouvrit sous de meilleurs auspices. Un Tapiola vivant, aux arrêtes vives, non dénué d’ampleur et d’élégance comme pouvait en témoigner l’épisode de la tempête, très finement détaillé dans son enchevêtrement de lignes, précédait, après un interlude concertant composé des Cantique et Dévotion pour violoncelle et orchestre, la Sixième Symphonie, la plus secrète des pages du Finlandais. De toute évidence, dans cette partition, Osmo Vänskä s’en tient à la rhétorique, se dédouanant de tout message expressif : le tempo initial trop rapide freine l’éclosion de lumière, le manque de lisibilité harmonique et les accentuations rythmiques minimales empêchent l’émergence d’un mouvement propre à soutenir l’intégralité de l’ouvrage. De plus, dans le premier mouvement, les pupitres de cordes ne cachent pas leurs approximations, et de la fin de l’Allegro moderato, et des jeux de « couleur » proprement stupéfiants qu’y ose le compositeur, ne se dégage aucune poésie, comme si ce dernier restait un pur esprit d’architecte, à qui l’on dénierait tout génie dans l’exploration des timbres de l’orchestre.
En réalité, à force des écoutes successives des quatre dernières symphonies, le Sibelius d’Osmo Vänskä se distingue par le refus d’une véritable assise sonore. Cette sorte de pudeur entraîne une déstructuration de la matière sonore, et met en péril l’architecture entière des œuvres. La Septième Symphonie, où pointe un magnifique choral de cuivres, ici dépourvu de rayonnement et d’ampleur, confirme cette impression d’un Sibelius partiel.
Photo : (c) DR
Retrouvez toute la discographie d’Osmo Vänskä sur Qobuz.