Pour approfondir l’art du chef helvète, Cascavelle nous propose également une première série de témoignages en concert, disques malheureusement indisponibles au numérique et distribués par Abeille Musique. Quatre albums exceptionnels, préludes à d’autres encore plus alléchants. Extraordinaire Chloé Owen dans les Sept lieder de jeunesse de Berg (1959). Perfection de la diction, mais surtout saisies dans son chant toute l’inquiétude fébrile (écoutez l’articulation du texte au tout début de Die Nachtigall) et les atmosphères doucement décadentes du jeune Berg.
L’accompagnement d’Ansermet, modèle de sensibilité et de délicatesse (une idée ? souvenez-vous de la Shéhérazade avec Crespin), l’aide à tisser des lignes fluides et insaisissables, comme les restes d’un passé qui s’envolent. Un irremplaçable, auprès duquel on trouvera un War Requiem (1967) intense de Britten, et des Illuminations (1953) déjà publiées avec Suzanne Danco. Le chef suisse n’a jamais pu enregistrer Britten en raison du contrat exclusif du compositeur anglais chez Decca. Par conséquent, voilà des témoignages à thésauriser (VEL 3125).
Sur un autre volume (VEL 3128), tout aussi précieux, la Troisième Symphonie de Magnard (1968) dégage un sentiment de souplesse rythmique plus fort (Danses) que la gravure officielle réalisée durant les trois jours précédents. Et il y perce aussi une petite pointe de nostalgie, assez poignante, dans le chant du cor anglais au début de la Pastorale, ou dans les parties de violon I à la fin du mouvement initial. Nous avons donc désormais deux témoignages par Ansermet d’une symphonie qui est loin d’être un chef d’œuvre du XXe siècle. Quel luxe ! En complément de cet album, une vision très émouvante à force de finesse instrumentale (Assez modéré) puis d’esprit pétillant (Animé finale) de la Symphonie cévenole de d’Indy, avec un Robert Casadesus fin et superbe (1955).
Le volume entièrement dédié à Beethoven (VEL 3126) reproduit un concert d’avril 1966. En premier, L’Empereur avec Serkin en 1966. Une vision d’une noblesse de grands seigneurs, d’une sagesse imperturbable, où Rudolf Serkin sidère souvent par son lyrisme serein, malgré des envolées naturellement plus marquées – ses pianissimos sont si intenses dans l’Allegro initial ! Indéniablement, une rencontre au sommet. Ensuite, la Cinquième Symphonie ravive le souvenir d’un Ansermet immense beethovénien, architecte foudroyant révélant tout le caractère visionnaire de l’orchestration. L’Andante con moto est assez extraordinaire par son ton rhapsodique, et une belle énergie imprègne le Finale, parfois un rien poussif sans doute.
Enfin, pour finir cette enthousiasmante série, Cascavelle publie la Symphonie n°1 de Dutilleux (1956) et la Symphonie n°4 de Martinu (1967). Un ajout bienvenu à la discographie du chef. Ansermet dirige lentement mais avec une grande grâce l’œuvre de Dutilleux, ici emplie d’atmosphères et de textures raréfiées, tandis qu’il met en valeur la splendeur coloriste de l’œuvre du compositeur tchèque.