Septembre 2010. Paavo Järvi fit son entrée. Nouvel orchestre, nouvelle renaissance pour le chef et les musiciens parisiens. La programmation durant cette nouvelle saison témoigne d’un souci de diversité bienvenue dans les répertoires, qui manquait sensiblement jusqu’à présent. La preuve en ce mercredi soir, qui présente La Péri (1912) de Paul Dukas et Kullervo (1891) de Sibelius. Une rentrée fort attendue !
Le chef estonien nous a gratifiés d’une interprétation tout à fait impressionnante du chef-d’œuvre de Sibelius, extrêmement sophistiquée, où l’engagement à la fois puissant, hautain des forces réunies concourt à une vision qui jamais ne plonge l’auditeur dans l’anecdotique. Paavo Järvi dépasse la stricte inspiration kavélienne pour retrouver une vraie dimension dramatique, par une analyse très subtile de la matière orchestrale. Prodigieux à cet égard fut le deuxième mouvement (La Jeunesse de Kullervo), où le nouveau directeur musical détaille infiniment les jeux de timbres et de registres qui parsèment les lignes de cordes, dans une écriture à 9 parties réellement distinctes, où les attaques de pupitres, multiples, sont idéalement respectées.
Cet état de renouvellement perpétuel des strates sonores, cette impression d’effervescence et de frémissement dans les textures permettait de brosser un portrait étonnant du personnage de Kullervo, badin et pourtant en ébullition, innocent et comme déjà frappé par un destin tragique. De plus, ici, l’orchestre se libère, s’illumine. Les équilibres, encore chancelants au début du difficile premier mouvement (Introduction), s’établissent pour s’affirmer toujours plus pleinement au cours des mouvements suivants.
L’orchestre s’immerge ensuite dans la grande fresque chorale centrale (Kullervo et sa sœur) avec un élan et une belle précision rythmiques, et le chœur (le Chœur d’hommes d’Estonie est venu s’ajouter aux forces locales) défend, lui, une vision puissante et robuste, en n’oubliant jamais le ton guerrier de l’instant. Magnifique ! Un peu en dessous, la grande séquence suivante entre les solistes ? Sans doute. Mais Soile Isokoski et Juha Uusitalo, sans doute perturbés par l’acoustique peu porteuse de la Salle Pleyel, forment le couple aujourd’hui le plus convainquant dans Kullervo, Soile Isokoski de par sa voix cristalline, fraîche, comme venant de l’air – déjà une Luonnotar en gestation – et Juha Uusitalo pour son caractère définitivement rustre, paysan, meurtri par son manque de convenance et de clairvoyance. Uusitalo avait atteint, il y a trois ans sous la direction de Gullberg Jensen une vérité dramatique plus authentique encore. Une petite réserve qui s’avère minime dès que débute le mouvement suivant – Kullervo à la guerre.
Avec un génie discret, Paavo Järvi s’amuse à souligner les profondes originalités rythmiques de ce mouvement. Si l’orchestre n’évite pas toujours les embûches – quelques traits sont énoncés un peu trop rapidement –, il témoigne d’un réel investissement, et se recentre rapidement sur le geste concentré et fédérateur de son directeur musical. Dans le mouvement final, pris dans un temps plus lent que la moyenne, le chef estonien témoigne d’un sens de la tension architecturale assez confondant, qui lui permit de couronner son interprétation par des sommets d’émotion. Dès lors, c’est avec une vive impatience que nous attendons la suite du parcours sibélien de Paavo Järvi à la tête de son nouvel orchestre.
Dans La Péri (page trop rare aujourd’hui dans les concerts, et ici heureusement introduite par sa Fanfare), la direction de Paavo Järvi témoignait d’une belle volonté de légèreté et de finesse, au détriment sans doute d’une fluidité dans la dramaturgie poétique. Une impression de flottement pouvait éclore parfois dès lors que la balance cordes / bois / cuivres laissait percevoir quelques interstices dans l’harmonie – les lignes de cuivres et de bois semblaient dans les épisodes médians peu perceptibles. La raison se trouverait-elle dans l’important travail que Paavo Järvi – de toute évidence – a réalisé avec son quatuor de cordes, auxquelles il souhaite redonner une présence et une véritable puissance sonore ? Un travail qui profitait à Kullervo ensuite…
LE PROGRAMME DU CONCERT
Paul Dukas (1865-1935)
La Péri
Jean Sibelius (1865-1957)
Kullervo, poème symphonique pour soprano, baryton, chœur et orchestre, Op. 7
Soile Isokoski, soprano
Juha Uusitalo, baryton
Choeur de l’Orchestre de Paris
Choeur national d’hommes d’Estonie
Orchestre de Paris
Paavo Järvi, direction
Mercredi 15 septembre 2010
Photos :(c) Ixi Chen (Photo à la une) ; (c) Mathias Bothor