Voici le grand œuvre d’Ansermet pour son 80ème anniversaire. Il s’offrit une intégrale des Symphonies et Ouvertures de Brahms, compositeur qu’il affectionnait tout particulièrement, et dont il donna à la fin de son existence des interprétations magistrales. Ainsi, dans son essai biographique (Ernest Ansermet, pionnier de la musique, chez L’Aire musicale), François Hudry se souvient de la Quatrième donnée le 2 février 1968 au Victoria Hall (« notre plus grande émotion musicale … interprétation pétrie d’humanité ») par le chef, alors de retour d’une tournée aux Etats-Unis où il avait également interprété cette partition (à New York).
Le célèbre critique Bernard Jacobson d’écrire alors : « l’unité expressive [de l’œuvre] se dessina avec une parfaite clarté de jugement et une force émotionnelle concentrée … une expérience mémorable ». Pour l’heure, seul un disque, chez Orfeo, montre les réelles affinités du chef avec cette musique. Ansermet y dirige l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise dans la Troisième Symphonie, le 17 mars 1966. Une merveille, indispensable. Le cycle officiel avec L’Orchestre de la Suisse Romande (février 1963) n’atteint pas les mêmes hauteurs. Il manque à cet ensemble, non l’engagement expressif ou le lyrisme, ni même la fluidité des lignes (écoutez le Poco allegretto de l’opus 90), mais une souplesse rythmique supplémentaire (non la précision), une assise dans la matière sonore.
La Deuxième Symphonie ne trouve pas son « tactus » : désunion entre le vertical et l’horizontal, absence de grande ligne malgré une écoute réelle entre tous les pupitres, énergie contenue mais bridée, monotonie des phrasés (Adagio non troppo, Allegro con spirito). La Première Symphonie, elle, retrouve un mouvement naturel, en dépit d’accents un peu appuyés, d’où s’est éteinte toute spontanéité. Peu de mystère, de poésie, malgré une hargne obsédante dans l’Allegro du mouvement initial, une tranquillité rêveuse dans l’Andante sostenuto intéressantes.
Le plus impressionnant reste dans la Quatrième Symphonie. La Passacaille (Allegro energico e passionato) contient une couleur tragique absolument unique, accentuée par une gradation globale d’une rectitude bouleversante. Ansermet y souligne sans démonstration, avec naturel, la profonde verticalité de l’écriture, les imprégnations persistantes du choral. La Troisième est belle aussi, ce grand geste lyrique (les contre-chants de bois, de violoncelle !), aidé par des couleurs d’orchestre d’une luminosité suffocante, reste passionnant. De toute évidence, Ansermet programmait moins les deux premières symphonies lors de ses concerts. Dans les deux dernières, l’orchestre possède une assurance et retrouve une énergie motrice assez convaincante. Un coffret en définitive réservé aux inconditionnels absolus du chef.
Si les Ouvertures paraissent désincarnées, mécaniques, si Nänie (juin 1966) mérite davantage de raffinement et Un Requiem allemand de caractères et d’atmosphères (chœurs inadéquats, solistes peu expressifs), les Variations Haydn valent réellement le détour, notamment en son Andante final, naturel, fluide et épuré. La Rhapsodie pour contralto, chœur et orchestre (octobre 1965) diffuse un très beau sentiment de dramatisme, de résignation. La quête de la sérénité, pleine d’angoisse, avant l’arrivée au paradis. Helen Watts y exploite les registres graves de son timbre.