Le premier jour de notre session avec Vestard Shimkus.
Né en 1984, ce Letton est une personnalité phénoménale, si intense dans le jeu, brillante, virtuose et profondément originale dans ses choix expressifs. Au programme du jour, la Seconde Sonate de Rachmaninov dans sa version originale (1913), d’une grande difficulté technique et musicale. Fascinant de voir comme Shimkus dévore littéralement le piano. Il a une rage irrépressible de l’instrument, et s’y exerce souvent avant de se lancer à proprement parler dans l’enregistrement des mouvements. Lui-même compositeur, il se créé lui-même ses propres exercices à partir de la musique. Tout semble comme naturellement décomposé structurellement, analysé avec une rigueur implacable. Emportée, passionnée et flamboyante, son interprétation dévoilera une conscience redoutable de l’architecture de l’œuvre. C’est toute la magie de ce pianiste.
Comme dans ses précédents enregistrements Beethoven ou Wagner (Ars Produktion), le Letton prend des risques insensés, propose une vision intensément personnelle des œuvres (écoutez le Finale de la Hammerklavier !), mais en définitive totalement révélatrice de leur mystère et de leur modernité. Ici, si Shimkus empoigne, dès son geste initial, l’œuvre à bras le corps, il atteint un état de transcendance inoubliable dans le Finale, véritable apothéose du programme prévu, composé également de quelques prélude de l’Opus 32 et des Variations sur le quinzième Prélude de Chopin (Op. 22).
Le Letton prend des risques insensés, propose une vision intensément personnelle des œuvres (…) lors de la sessions, tout est déjà si excitant, grandiose !
Vestard Shimkus pratique peu les coupures ; il n’apprécie guère le découpage chirurgical, et préfère – dans la lignée des grands artistes d’autrefois – l’élan et la dynamique de l’instant. Il n’aura ainsi réalisé que deux prises complètes dans le Finale, seulement deux prises !, et le choix se portera principalement sur la seconde, totalement ébouriffante. Ce que vous entendrez sur le disque, à paraître à l’automne, est ce qu’aura souhaité – d’un bout à l’autre – le Letton. Il supervise totalement les choix musicaux. Les décisions sont rapides, mais toujours justes, du fait de la longue et mûre préparation en amont de l’enregistrement. Lors de la session, il ne reste en définitive pas grand-chose à choisir ou à décider, car bien souvent… tout est déjà si excitant, grandiose, simplement parfait. A n’en pas douter, Vestard Shimkus est une météorite dans le piano d’aujourd’hui. Au programme de demain, trois Préludes de l’Opus 32, la transcription par Shimkus lui-même d’une des mélodies de Rachmaninov (Op. 4 No. 3) puis le début des complexes, et si belles, et pourtant méconnues Variations.
Photo : (c) Pierre-Yves Lascar – Février 2014