Le chef d’orchestre russe Valery Gergiev revient à Paris pour deux concerts avec son orchestre, le London Symphony Orchestra, autour d’œuvres d’Olivier Messiaen (1908-1992) et Alexandre Scriabine (1872-1915). Couplage fort passionnant, de deux personnalités inclassables dans la musique orchestrale du XXe siècle. En cette première soirée, Gergiev associe Les Offrandes oubliées du Français avec la Troisième Symphonie du Russe.
En France, on connait en définitive peu les affinités du chef russe avec la musique française. En novembre dernier, il nous présentait avec le LSO une interprétation, à la fois déconcertante et remarquable, de la Symphonie fantastique, où il soulignait avec une gourmandise non teintée d’ironie toute l’influence que Berlioz, maître des timbres et des couleurs, avait eue sur l’école des Moussorgski, Balakirev et Rimski-Korsakov. Passionnant de bout en bout, d’entendre la préfiguration dans la Fantastique de Une nuit sur le Mont Chauve (Moussorgski) ou de Antar (Rimski-Korsakov) : une science des timbres, crus, violents sans agressivité, une imagination expressive né de la diversité des couleurs orchestrales émanait en tous instants de la direction de Gergiev. Un très beau souvenir.
Gergiev ose une vision très lyrique, d’une lisibilité structurelle parfaite.
Gergiev est dans un autre jour en ce samedi printanier. Plus mélancolique, plus lyrique sans doute. L’Orchestre Symphonique de Londres déploie une subtilité dans les équilibres naturellement confondante, à l’instar de la dernière partie des Offrandes oubliées, d’une légèreté arachnéenne, presque anti-expressive. Juste l’enchainement des harmonies à froid, comme épurées à l’extrême. Le geste de Gergiev est demeuré encore plus étonnant dans le monstre scriabinien. Gergiev ose une vision très lyrique, d’une lisibilité structurelle parfaite. Grande fluidité dans les transitions, prédominance des motifs mélodiques (et par delà du pupitre de cordes sur les cuivres ou les bois), et surtout tranquillité, évidence de la conduite générale – finalement rare dans cet univers scriabinien. Le tempo modéré du premier mouvement, ce Divin Poème, qui amorce une « nouvelle poétique » dans l’univers scriabinien, achève de donner à ce moment musical d’une rare acuité les accents d’une ballade rhapsodique, même si l’acoustique de la Salle Pleyel révèle particulièrement ses points faibles dans cette oeuvre aux denses textures. A cet égard, ce fut une vision en tous points différente de celle de Kirill Petrenko à la tête de l’Orchestre de Paris il y a quelques mois.
Ce Scriabine relevait naturellement le parfum de mauvais goût diffusé par un Daniil Trifonov dans le Second Concerto de Chopin, maniéré, dénué de chant, simplement creux. Trifonov aurait du s’arrêter là. Ses bis, deux Debussy (Reflets dans l’eau, Mouvement, extraits du Livre I des Images), où tout semblait aplani, dans le rythme (les premières mesure de Reflets dans l’eau), comme dans l’harmonie ou les nuances (passages en fortissimo de Mouvement), finissaient de me laisser perplexe sur la musicalité naturelle de ce jeune pianiste russe.
Paris, Salle Pleyel – Samedi 05/04/2014, 20h
London Symphony Orchestra
Valery Gergiev, direction
Daniil Trifonov, piano
LE PROGRAMME DU CONCERT
Olivier Messiaen
Les Offrandes oubliées
Frédéric Chopin
Concerto pour piano No. 2
Alexandre Scriabine
Symphonie No. 3, « Le Divin Poème »
** MA RECOMMANDATION DISCOGRAPHIQUE
Scriabine, Symphonie No. 3 « Le Divin Poème »
Royal Stockholm Philharmonic Orchestra
Leif Segerstam, direction
Un enregistrement BIS
Recording date: August 1989
Recording location: Stockholm Concert Hall, Stockholm (Suède)
Pour écouter l’album
Photo à la une : (c) Natasha Razina – Deutsche Grammophon (2006)