Le chef d’orchestre estonien Paavo Järvi dirige l’Orchestre de Paris depuis maintenant plus de trois saisons. Bienheureux! En ces deux soirées, il nous offrit peut-être le meilleur de son art, et de l’excellence des musiciens français. L’orchestre est simplement dans une forme olympique, à commencer par les pupitres de bois – un régal absolu. Si le cor d’André Cazalet (surtout le mercredi soir), ou le flûtiste Vicens Prats témoignaient d’une incomparable finesse, mentionnons plus particulièrement le hautbois d’Alexandre Gattet, dont la sonorité, aussi bien dans Beethoven que Mahler, fut d’une suavité et d’une élégance absolument admirables, simplement musicales.
Dans la Quatrième de Mahler, Järvi ose des tempos rapides, à la motricité rythmique saisissante (In gemachlicher Bewegung), qu’il tient toujours parfaitement. Järvi n’oublie pourtant jamais de respirer. Les cordes dans le mouvement initial (Bedächtig), à cet égard, phrasent incroyablement, dessinent d’amples lignes qui tendent à affermir l’architecture de ce mouvement très rhapsodique. Dans l’Adagio (Ruhig), les violoncelles énoncent leur ligne mélodique avec une discrétion majestueuse, entretenue ensuite par les bois. Sans doute le mercredi soir les équilibres étaient-ils naturellement plus fragiles ; il y avait peut-être pourtant une spontanéité, une plus intense (et naturelle) expression dans le geste du chef, que le jeudi soir, où la dimension un rien fébrile de la veille s’était épanouie. Très belle mezzo-soprano dans le Lied final, entre élégance et rugosité.
Les affinités de Järvi avec Mahler ne sont pas nouvelles. Une Seconde (« Résurrection »), parue chez Virgin Classics, avec l’Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort, était remarquable déjà par la fluidité des transitions, la vivacité de la direction et l’allègement général des textures orchestrales. Ce qui devient passionnant ici, et finalement émouvant, dans ces soirées parisiennes, est la parfaite compréhension que Järvi possède aujourd’hui de l’orchestre parisien : comment des Français peuvent-ils capter un public dans Mahler ? Tout simplement en valorisant tout ce qui fait sa beauté : la diversité des timbres, des couleurs, et l’énergie, sans heurt ni agressivité, qu’une telle phalange, soudainement, retrouve quand elle est ainsi sollicitée, au plus profond même de sa tradition.
La première partie proposait une belle adaptation du Langsamer Satz par Gerard Schwarz, toute entière dédiée aux cordes. De belles impressions romantiques, douces et nostalgiques, idéales pour débuter ces très beaux concerts.
Radu Lupu interprétait ensuite le Premier Concerto de Beethoven. Le pianiste roumain, toujours inoubliable, propose une vision singulière de l’univers beethovénien, plus rêveur et métaphysique qu’impétueux et rageur. Le jeu de Lupu, au détour d’une simple attaque (dans l’Allegro con brio initial notamment), peut néanmoins retrouver toute l’espièglerie post-haydnienne qui parsème encore les mouvements rapides du jeune Beethoven. Un concert absolument magnifique !
Paris, Salle Pleyel – Mercredi 2 et Jeudi 3/04/2014, 20h
Orchestre de Paris
Paavo Järvi, direction
Katija Dragojevic, mezzo-soprano
Radu Lupu, piano
LE PROGRAMME DU CONCERT
Anton Webern
Langsamer Satz, pour cordes (orch G. Schwarz)
Ludwig van Beethoven
Concerto pour piano No. 1, Op. 15
Gustav Mahler
Symphonie No. 4