En fin de matinée, j’ai appris via un post Facebook de Philippe Bourgey (de Radio France) la mort d’un grand producteur de France Musique, Jacques Merlet. Je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine nostalgie de ces années-là, de ce France Musique avec lequel je me suis tellement documenté, enregistrant de multiples émissions, des feuilletons si intelligents de Mildred Clary – la vie de Bach en trois mois, racontée par Mildred Clary et Gilles Cantagrel – aux deux heures trente d’émission des fameux Mots et Notes, en passant justement par l’émission de la légende radiophonique qu’était Jacques Merlet.
Si je suis jeune encore, j’ai pu profiter pendant quelques années de ses émissions pédagogiques et passionnantes. C’était dans les années 1995-99, où mon appétit de culture, de musique, de cinéma, ne fut jamais aussi intense. Jacques Merlet apportait tant aux curieux. Il satisfaisait (presque) à outrance leur gourmandise. La qualité de ses rencontres-interview avec les musiciens le mardi soir – à cette époque, dans ces années-là, sa principale émission avait lieu le mardi de 23h07 à 01h00 du matin -, la diversité des musiques qu’il présentait, étaient un régal. Sans aucun doute Merlet prônait-il une certaine idée du pluralisme, s’efforçant de faire dialoguer les styles, les esthétiques, les horizons qui faisaient la richesse des musiques du Moyen-Age, de la Renaissance ou de toute la période baroque. Sous sa direction, les intelligences musicales fusaient, et l’auditeur mélomane que j’étais pouvait entrer de plein pied dans les musiques anciennes, avec un plaisir malin et une confiance absolue. Faut-il encore le rappeler, mais Merlet fut essentiel pour la diffusion et la promotion de la musique baroque et ancienne.
Je me souviens que j’avais une discipline absolue ces mardi soir. Il me fallait attendre 23h30 pour être sûr de ne rien manquer de ces émissions. 23h30 était une heure relativement tardive pour moi, à cette époque, et l’émission à proprement parler ne débutait qu’à 23h07. Pour attendre, dans un foyer familial où les lumières s’éteignaient la plupart du temps vers 22h25 (!), je me lançais systématiquement dans un film ancien, genre western, film policier, que je finissais de visionner le lendemain matin. A 23h07, je me mettais dans mon lit, et avec mon casque, j’écoutais les vingt-trois premières minutes du programme de Jacques Merlet. En réalité, je savais que je pouvais enregistrer sur cassette audio les quatre-vingt dix autres minutes de l’émission – que j’écoutais donc le lendemain matin, après avoir par ailleurs regardé la fin du film que j’avais commencé la veille. Les cassettes audio pouvaient même aller jusqu’à quatre-vingt quatorze minutes, je savais que j’aurais toute la fin en commençant mon enregistrement à 23h30, ou quelques minutes après!
Du fond du coeur, je remercie Jacques Merlet d’avoir tant nourri mon amour de la musique, des interprètes. Il est sans doute l’une de ces rares personnes, qui, une fois par semaine, me lancèrent, inconsciemment, cette petite étincelle, qui m’ont amené à vouloir, défendre, moi aussi, avec mes propres moyens, l’art musical, les artistes, les répertoires… bref, à soutenir des formes d’expression artistique.
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