Vaughan Williams à Leningrad

En 1978, l’Orchestre Philharmonique de la BBC donnait ses premiers concerts avec son nouveau directeur musical : Gennady Rozhdestvensky succédait à Rudolf Kempe. Contrairement à Kempe qui ne se risqua guère dans le répertoire anglais sinon dans les Interludes marins de Peter Grimes, le chef russe mit immédiatement les compositeurs britanniques au programme de ses concerts.

Toujours à la recherche de répertoires nouveaux – il signera pour Melodiya la plus complète intégrale des symphonies de Bruckner jamais enregistrée, mais aussi toute la musique d’orchestre d’Honegger – il découvrait ou approfondissait sa connaissance d’Elgar, de Tippett, de Britten. Son attention se porta sur Vaughan Williams.

Le chef d'orchestre russe Gennady Rozhdestvensky
Le chef d’orchestre russe Gennady Rozhdestvensky – Photo : (c) DR

Gennadi Rozhdestvensky y reconnut d’emblée un génie de la symphonie du XXe siècle. Le public londonien applaudit, entre autres, une lecture atypique – raréfiée, sibelienne presque – de la 5e Symphonie au Royal Festival Hall le 22 octobre 1980. Le projet d’enregistrer tout le cycle pour Chandos fit long feu. En 1981, Rozhdestvensky cédait l’estrade de l’Orchestre Symphonique de la BBC à John Pritchard. Fin de la tentation anglaise, même si le chef russe reviendra diriger régulièrement à Londres.

Oublié Vaughan-Williams ? On le croyait, mais voici que Melodiya révèle une intégrale des Neuf Symphonies, captée en concert à Leningrad du 30 avril 1988 au 5 mai 1989. Prise de son gigantesque qui donne à entendre la formidable acoustique de la Grande Salle du Conservatoire de Leningrad et capture un orchestre faramineux.

On est loin du son symphonique classique russe avec ses cors vibrés ; Rozhdestvensky a imposé depuis deux décennies une discipline de fer à son Orchestre Symphonique d’État du Ministère de la Culture d’URSS, et à la fin des années quatre vingt, la formation moscovite possède avec la Philharmonie de Leningrad le plus stupéfiant quatuors de cordes qu’on puisse entendre en Union Soviétique.

Le compositeur britannique Ralph Vaughan Williams (1872-1958), peint en 1958 par Sir Gerald Kelly. Vaughan Williams demeure sans doute l'un des symphonistes les plus importants du XXe siècle.
Le compositeur britannique Ralph Vaughan Williams (1872-1958), peint par Sir Gerald Kelly en 1958, l’année de sa mort. Vaughan Williams demeure sans doute l’un des symphonistes les plus importants du XXe siècle, aux côtés de Sibelius. Photo : (c) DR

Cela donne une profondeur de champ assez incroyable à ces interprétations volcaniques que le concert avive encore. Et Rozhdestvensky dirige tout en arrêtes, en verticales, il joue Vaughan Williams en moderne, fait éructer ses cuivres – le Finale de la 4e, le Scherzo de la – emporte son orchestre dans une furia contagieuse. Il le lui rend bien, splendeur sonore, ardeur rythmique, quasiment pas de faute de lecture (sinon le motif du glockenspiel dans la où les doigts s’emmêlent), comme s’il avait toujours joué cette musique. Au point qu’en filant le cycle intégral, des paysages conquérants de la Sea Symphony aux ultimes déferlantes de la , on est certain de tenir là une lecture décisive – l’égal des deux cycles de Boult ou de celui d’Haitink. Paradoxe, il aura fallu qu’un visage si contemporain de Vaughan Williams se dessine hors d’Angleterre et soit le fait d’un chef curieux de tout, prescient de tout. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin cédait. Mais à Leningrad, la rencontre entre l’Ouest et l’Est avait déjà été scellée.

LE DISQUE DU JOUR

cover vaughan williams rozhdestvensky melodiyaVAUGHAN WILLIAMS
Symphonies Nos. 1 à 9

Orchestre Symphonique d’État du Ministère de la Culture d’URSS
Gennadi Rozhdestvensky, direction

 

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