Dès les premières mesures du Printemps qui ouvre le nouvel enregistrement des Berliner Philharmoniker et de Sir Simon Rattle, cet orchestre qui articule, ces phrasés qui parlent, ces équilibres où paraissent des paysages fugitifs nous rappellent que l’univers symphonique de Schumann se voulut toujours différent, non pas un collectif mais des voix individuelles qui tressent une polyphonie à la fois savante et aventureuse.
A vrai dire les contemporains n’y comprirent goutte, et la postérité ne fut pas amène : ce musicien n’entendait rien à la symphonie, son orchestre était un brouillon, il fallait le remettre dans le droit chemin, ce à quoi les éditeurs et les compositeurs veillèrent, jusqu’à Gustav Mahler lui-même : puni, comme Bruckner le sera également, d’avoir pensé la formation symphonique différemment.
Les scories des réécritures de la postérité encombreront longtemps ces quatre opus qui connurent au disque au moins une fortune absolue, l’intégrale lumineuse et sans appui que la Staatskapelle de Dresde et Wolfgang Sawallisch lui consacrèrent en 1972 (Electrola). Déjà Sawallisch interrogeait le texte, proposait des phrasés différents, modifiait les équilibres. Au point qu’un véritable engouement se fit jour chez les chefs d’orchestre. Tous voulurent enregistrer leurs quatre symphonies de Schumann.
Seconde renaissance en 1997. John Eliot Gardiner et son Orchestre Révolutionnaire et Romantique rendaient à Schumann ses instruments, et à la Quatrième Symphonie sa version originale (1841) prenant soin de graver aussi la version révisée de 1851. Muni d’un appareil critique impeccable, historiquement informée, on croyait avec cette lecture brillante la messe dite une fois pour toute : ses successeurs ne pourraient en être que les commentateurs.
Mais non, car Sir Simon Rattle qui a patiemment converti au cours de son mandat les Berliner Philharmoniker à son propos nous les donne littéralement à redécouvrir. Foin du romantisme bon marché, retour évidemment aux textes originaux, voir aux manuscrits ; signe de cette volonté de réhabilitation la 4e ne paraît ici que dans sa version originale. Rattle a choisi.
Son Schumann en surprendra plus d’un par son absence de pathos, son dédain de tout geste amphigourique, le contrôle scrupuleux d’une échelle dynamique qui obtient des berlinois un jeu chambriste, précis, des phrasés inféodés aux rythmes, un lyrisme qui cède la place au discours. Et c’est bien ce qui fait toute la singularité d’un corpus unique, isolé dans le romantisme, d’un monde en soi.
Pour ce projet si abouti qu’il suscitera bien entendu autant d’adversaires que de zélateurs, les éditions de l’Orchestre Philharmonique de Berlin ont réalisé un objet qui ne cesse d’intriguer : un livre-disque au format italien, toilé, où s’affiche le détail d’un vase en porcelaine de Saxe. Kitchissime, complètement décalé avec le propos même de l’enregistrement. Cette note d’ironie luxueuse accompagne non seulement un livret très informé avec entre autres un passionnant texte de Martin Demmler au titre révélateur « le romantique désenchanté », les deux CD mais aussi un Blu-Ray offrant d’un part une version sonore en pure audio 24-bit/96 kHz mais aussi la captation en vidéo des quatre symphonies assortie d’un éclairant entretient avec Sir Simon Rattle : il vous donnera toutes les clefs de ce nouveau Schumann.
LE DISQUE DU JOUR
Les 4 Symphonies
Symphonie No. 1 en si bémol majeur, Op. 38 « Le Printemps »
Symphonie No. 4 en ré mineur,
Op. 120 (version originale)
Symphonie No. 2 en ut majeur,
Op. 61
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 97 « Rhénane »
Berliner Philharmoniker
Sir Simon Rattle, direction
2 CD Berliner Philharmoniker BPHR140011 Recordings
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Photo à la une : (c) Matt Dine