Rudolf Barshai (1924-2010) était parvenu à la fin des années cinquante à présenter au public moscovite des concerts entiers dédiés au répertoire baroque et classique, de Bach à Mozart en passant par Vivaldi. Son Orchestre de chambre de Moscou réunissait la fine fleur des archets russes, formant un quatuor étourdissant dont la splendeur virtuose éclata en Occident lorsque parut un album de trois microsillons regroupant les ultimes symphonies de Mozart.
Depuis l’enregistrement de Fritz Reiner et de l’Orchestre Symphonique de Chicago, on n’avait pas entendu une Jupiter aussi brillante, avec l’impression, comme le notait Piotr Kaminski, que chaque pupitre de violon était tenu par un clone de Jascha Heifetz. Barshai alternait redécouvertes – il signera des orchestrations singulières de L’Offrande Musicale et de L’Art de la fugue – et créations : en 1964, Chostakovitch lui confiait sa si complexe 14e Symphonie.
Mais au disque, après Mozart, il voulut graver l’intégrale des Symphonies de Beethoven qu’il fréquenta au concert avec ses musiciens tout au long des années soixante. L’Orchestre de chambre de Moscou s’augmentait alors de souffleurs issus de l’Orchestre Philharmonique de Moscou que Kirill Kondrachine dirigeait depuis 1956, imposant à ses bois et à ses cuivres un jeu débarrassé du traditionnel vibrato russe.
Barshai disposait donc d’une phalange qui lui permettait d’aborder ce qu’il devait toujours considérer comme son plus grand œuvre et en partie son testament musical. Tenté un temps par la proposition de graver tout le cycle pour EMI avec l’Orchestre Symphonique de Londres, le chef russe dut y renoncer sous la pression politique.
Son Beethoven s’enregistrerait à Moscou et nulle part ailleurs. Chostakovitch applaudit, il assista en 1973 à l’enregistrement de l’Héroïque et souligna lorsque le disque parut la proximité des tempos, des articulations, du propos musical de la version de son ami avec celle d’Otto Klemperer.
Bien des années plus tard, lorsqu’en compagnie de Georges Sébastian nous évoquions avec Rudolf Barshai cette appréciation de Chostakovitch, il avoua que son modèle pour tout le cycle avait de fait été l’intégrale de Klemperer. On retrouve la même simplicité, le même ton concentré et altier à la fois, les mêmes tempos relativement larges où chant et tension s’alternent avec un sens de la grande forme. Éloquent.
Voir reparaître enfin cette presque intégrale est un bonheur sans mélange, d’autant que les bandes originales ont conservé les couleurs si particulières de la formation moscovite, ses allégements chambristes. Mozart n’est au fond jamais très loin, et l’on enrage de ne toujours pas disposer au CD de ses ultimes symphonies selon les virtuoses de l’Orchestre de Chambre de Moscou.
Le cycle ne fut jamais achevé. Barshai voulait pour la Neuvième des solistes et un chœur allemand. Un accord fut passé avec Eurodisc, des sessions planifiées à Stuttgart, mais le label allemand exigea un partage des droits, ce que Melodiya refusa.
Lorsque, à la fin des années quatre-vingt, Barshai eut l’opportunité d’enregistrer la Missa Solemnis, il obtint un quatuor de solistes germanique, mais accepta cette fois un chœur russe, immense, composite, renforcé par une myriade d’enfants. L’effet sonore en demeure saisissant, et cette gravure sera en quelque sorte la coda de l’intégrale symphonique inachevée. Elle demeure son disque le plus accessible, et à la fois le plus méconnu : découvrez-la dans le sillage de ces huit symphonies.
LES DISQUES DU JOUR
BEETHOVEN (1770-1827)
8 Symphonies (1) :
No. 1 en ut majeur Op. 21, No. 2 en ré majeur Op. 36, No. 3 en mi b maj Op. 55,
No. 4 en si b maj Op.60,
No. 5 en ut mineur Op. 67, No. 6 en fa majeur Op. 68, No. 7 en la majeur Op. 92, No. 8 en fa majeur Op. 93
BEETHOVEN
Missa Solemnis (2)
Ursula Fiedler, soprano
Barbara Hölzl, mezzo-soprano
Werner Hollweg, ténor
Jakob Stämpfli, baryton-basse
Chœur Sveshnikov,
Chœur de la Radio de Moscou
Orchestre de Chambre de Moscou (1)
Orchestre National de Russie (2)
Rudolf Barshai, direction
(1) Un coffret de 5 CD Melodiya MELCD 10.022282
(2) 1 CD Laserlight 14830 (publié aussi sous étiquette Capriole)
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Photo à la une : (c) DR