Le plus bel orchestre du monde ? La Staatskapelle de Dresde. Phalange remontant au XVIe siècle devenue successivement orchestre de chapelle, orchestre de cour, formation symphonique, qui depuis le XIXe siècle passe naturellement du concert à l’opéra. Sa sonorité si spécifique peut se caractériser par le célèbre oxymore cornélien : une obscure clarté. On en éprouvera toutes les splendeurs en écoutant l’intégrale des Symphonies de Bruckner que Jochum grava de 1975 à 1980 (1).
Christian Thielemann préside aujourd’hui à ses destinés. A-t-il trouvé la formation qu’il lui fallait, après ses inégales collaborations avec les Wiener Philharmoniker ou l’Orchestre Philharmonique de Munich ? Une intégrale Brahms – ouvertures, concertos pour piano et pour violon, symphonies – laisse dubitatif. Tempos retenus, palette un peu grise, phrasés piqués de maniérismes, parfois de la poésie, de l’élan jamais. Tout un peu trop à l’estompe en fait. L’orchestre cherche le chef et ne le trouve que par éclipse.
Alors que lorsque Maurizio Pollini s’engage dans le Premier Concerto ou chante éperdument le Second, ce à quoi il ne nous avait plus guère habitué depuis son légendaire Deuxième Concerto filmé sous la direction de Claudio Abbado à Vienne, tout rayonne enfin, l’accord majeur se produit. Plus encore dans le Concerto pour violon où Lisa Batiashvili poétise à souhait le discours de son archet profond. Les symphonies et les ouvertures font des disques relativement indifférents. Est-ce l’image – les Concertos sont des captations vidéo, le quatrième disque du coffret étant un DVD – qui soudain donne cette vie supplémentaire ?
Il en va tout autrement d’une Elektra captée live à la Philharmonie de Berlin le 20 janvier 2014. Tranchante et précise, toute en nuances, la direction cursive de Thielemann allège un orchestre auquel appartient l’œuvre autant qu’aux Wiener Philharmoniker.
Cette fois la communion entre les Dresdois et Thielemann est totale, brillante, virtuose, jamais ostentatoire, donnant raison à Strauss qui voulait voir son Elektra dirigée comme de la musique de fée. Passée par le révélateur de la mise en scène de Patrice Chéreau cinq mois auparavant, Evelyn Herlitzius approfondit encore son Elektra : Thielemann lui donne tout le temps nécessaire pour qu’elle la chante plus réflexive dès son entrée en scène.
Le grand dialogue avec l’Oreste quasi paternel de René Pape est si inhabituellement conduit qu’on a le sentiment de le redécouvrir. Si Anne Schwanewilms est à la peine parfois – mais sa Chrysothemis reste infiniment touchante – la grande leçon de chant provient de la Clytemnestre réservée, hantée mais tenue de Waltraud Meier, une Reine toujours, un monstre jamais. Si vous voulez saisir les affinités électives naissantes entre la Staatskapelle et Thielemann, commencez plutôt par cette Elektra !
LE DISQUE DU JOUR
Evelyn Herlitzius, soprano
(Elektra)
Waltraud Meier, mezzo-soprano (Clytemnestre)
Anne Schwanewilms, soprano (Chrysothemis)
René Pape, basse (Oreste)
Staatskapelle Dresden
Christian Thielemann, direction
Un coffret de 2 CD Deutsche Grammophon 4793387
(1) Intégrale rééditée récemment dans un coffret EMI/Warner de la collection ICON regroupant tous les enregistrements de Jochum pour le label londonien.
Photo à la une : (c) Matthias Creutziger