Amadis, le chef d’œuvre de Lully ? Avec Atys, qui grâce au revival de Jean-Marie Villégier et de William Christie lui a volé la vedette et décidé de la renaissance Lully, oui. Car en ranimant Amadis, déserté jusque là par le théâtre du Grand Siècle, Quinault fournissait à son musicien un matériau splendide où les enchantements et les passions, le merveilleux et le sombre s’équilibraient idéalement. Plus prés de Corneille que de Racine, loin des sources antiques, revenant en quelque sorte au chevaleresque roman national.
On sait tous les efforts que déploya Hugo Reyne pour en dévoiler la lettre en 2006 et l’on n’a pas oublié son geste pionnier, ni la Corisande de Françoise Masset ou l’Oriane de Guillemette Laurens. Mais voici qu’Aparté publie un concert des Talens Lyriques donné à l’Opéra Royal de Versailles en juillet 2013. Christophe Rousset et sa bande sont lancés depuis plusieurs années dans une réévaluation de la tragédie lyrique qui a produit une lecture splendide du rare Bellérophon, une autre de Phaëton, mais on continue d’y préférer l’ancienne version de Marc Minkowski, et hors Lully la révélation du si éloquent Hercule mourant de Dauvergne.
Retour à Lully donc et à cet Amadis qui dès le prologue vous emporte dans un univers saisissant. Rousset y applique ses leçons du théâtre lu, du texte littéraire magnifié qui sert de charpente à la musique-même de Lully. C’est rendre beaucoup à Quinault, presque la préséance, mais c’est raison. D’autant que si le verbe ici est roi, il est si musical qu’on cherchera en vain l’ennui provoqué jadis par les fameuses « steppes du récitatif lullyste ».
Cet art s’appuie sur une distribution éblouissante, l’Amadis ambigu de Cyril Auvity, modèle de beau chant, la malheureuse Oriane de Judith van Wanroij, le Florestan si juste de Benoît Arnould, la Corisande expressive de Bénédicte Tauran, tous font merveille comme la direction altière, pleine de panache et de fureur de Christophe Rousset décidément chez lui ici.
Mais le couple infernal nous transporte plus loin encore. Ingrid Perruche met du venin dans la voix d’Aracabonne, et tout au long des actes II et IV Edwin Crossley-Mercer donne une dimension saisissante à son Arcaläus : son baryton sombre où les mots claquent fait un portrait si exact de la fureur du magicien qu’on en a froid dans le dos. Savoir être un méchant est tout un art, on y risque le ridicule. Crossley-Mercer y trouve son Graal.
Si l’on ajoute que l’objet discographique est somptueux comme déjà ceux de Bellérophon et de Phaëton, vous saurez ne plus pouvoir résister à ses enchantements, du moins si vous êtes sensibles à la tragédie lyrique. Et maintenant, Rousset va-t-il enfin risquer Atys ?
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Amadis
Cyril Auvity, ténor (Amadis)
Judith van Wanroij, soprano (Oriane)
Ingrid Perruche, soprano (Arcabonne)
Edwin Crossley-Mercer, baryton (Arcalaüs)
Benoît Arnould, basse (Florestan)
Bénédicte Tauran, mezzo-soprano (Urgande)
Hasnaa Bennani, soprano (Corisande)
Chœur de Chambre de Namur,
Les Talens Lyriques,
Christophe Rousset, direction
Un triple CD-livre du label Aparté AP094
Photo à la une : (c) DR