En 1984, Seiji Ozawa revenait devant les micros de la Deutsche Grammophon pour compléter sa version princeps de la Symphonie No. 1 gravée en 1977 avec l’Orchestre Symphonique de Boston (1).
On venait d’éditer Blumine, une pièce initialement écrite exactement un siècle plus tôt par le jeune Gustav Mahler pour la musique de scène du Trompeter von Säckingen de Viktor von Scheffel. Le compositeur l’avait inclue comme deuxième mouvement dans la version originale de l’œuvre telle qu’elle fut présentée à Budapest le 20 novembre 1889. Dès qu’on avait découvert la symphonie au complet, on savait ne plus pouvoir l’entendre sans la rêverie de Blumine, respiration lyrique qui dotait enfin la Titan d’un vrai Andante, lui ajoutant un caractère supplémentaire qui la soustrayait définitivement au schéma classique.
Cette musique stellaire et champêtre, où se déploie un narcissique solo de trompette, annonce clairement les mouvements médians de la 3e Symphonie et déploie une ligne mélodique irrésistible, du tout grand Mahler quoi qu’en pensent beaucoup. Zubin Mehta suivit, plaçant également Blumine en seconde position, puis Simon Rattle, Neeme Järvi, Leif Segertsam le détachèrent en exorde ou en postule de la symphonie, prélude au retour à l’oubli. Blumine disparut.
On se réjouit de la voir réapparaitre à l’occasion de deux nouvelles publications. Thomas Hengelbrock à la tête d’un somptueux Orchestre Symphonique de la NDR, présente une restitution de la partition telle qu’elle fut crée à Hambourg le 27 octobre 1893 par Mahler, bardé d’un programme littéraire divisant l’œuvre en trois parties : « Souvenirs des jours de jeunesse » (les trois premiers mouvements), « Commedia humana » (la Marche funèbre à la manière de Callot) et « Dall’inferno » (le Finale).
Quantité de différences dans les phrasés, l’accentuation, les indications, nous changent le visage de la Titan, jusque parfois dans l’harmonie. C’est envoûtant de bout en bout, suprêmement dirigé et joué, et Hengelbrock, fin mahlérien, en interprète historiquement informé, aborde l’œuvre avec une connaissance consommée des tenants et des aboutissants d’une partition qui a littéralement produit la grammaire, la syntaxe et l’univers poétique du compositeur. Une révélation qui indique que le temps des lectures philologiques, rendues possible par l’édition critique complète de la Société Gustav Mahler, est venu et qu’une nouvelle génération d’interprètes est prête à s’en saisir.
Pionnier comme toujours, Kocsis qui venait de se tourner vers la direction d’orchestre, rétablissait lors d’un concert en février 2004 la version de la création de l’œuvre à Budapest. Blumine y éclate dans des couleurs incroyables, et Kocsis dirige preste – qualité mahlérienne s’il en est – au point que toute l’œuvre tient en un peu plus de 54 minutes ! Concert exaltant, d’une urgence, d’une virtuosité, d’un panache incroyable, avec pour les musiques tziganes qui coupent la marche funèbre, un caractère, une ironie qu’on cherchera en vain ailleurs. Tradition hongroise ? On se souvient qu’avec le National Georges Sébastian produisait le même effet. Inutile d’essayer de choisir entre les deux propositions, elles s’imposent pour mieux comprendre tous les enjeux de cette œuvre manifeste.
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler
(1860-1911)
Symphonie No. 1 « Titan »
(version Hambourg, 1893)
Orchestre Symphonique de la NDR
Thomas Hengelbrock, direction
Un CD Sony 88843050542
Gustav Mahler
Symphonie No. 1 « Titan »
(version Budapest, 1889)
Orchestre Philharmonique National Hongrois
Zoltan Kocsis, direction
1 CD Budapest Music Center BMCCD188
(1) Mahler, Symphonie No. 1, avec Blumine – Boston Symphony Orchestra, Seiji Ozawa – 1 CD Deutsche Grammophon Galleria 423 884-2
Photo à la une : (c) Berthold Fabricius