Tricentenaire Carl Philip Emmanuel Bach oblige, les deux disques de Concertos pour traverso enregistrés par Alexis Kossenko (photo à la une) et son Arte dei Suonatori en 2005 et 2008 nous reviennent complétés par une nouvelle gravure des Sonates en trio. On admire toujours autant la vivacité fusante des concertos, leur mélancolie sans affectation, la justesse de lectures qui les entraînent plutôt vers le Sturm und Drang que vers le rococo dont on les afflige trop souvent. Plus de la musique décorative, mais un théâtre.
Les Sonates en trio rayonnent, solaires, très dites, l’équilibre des quatre instrumentistes magnifiquement capté dans l’acoustique précise et chaleureuse de la Garnisons Kirke de Copenhague ne participe pas pour peu à la plénitude d’une interprétation sensible aux affects comme aucune autre jusqu’à ce jour. On retrouvera la virtuosité très animée de Kossenko dans les finales, mais ce qui séduit d’abord, c’est l’espace des largos où le bel instrument de Pierre Etchegoyen d’après Quantz fait merveille. Quel traverso somptueux, bien plus sonore et équilibré que le Melzer des Concertos !
Telemann lui aussi composa d’abondance pour la flûte, et Les Ombres ont rassemblé quelques partitions qu’il écrivit à son intention lors de son séjour parisien de l’automne 1737 à la Pentecôte 1738, où il aura retrouvé Hambourg et son écrasante charge.
Le goût français le charma incontinent, et il se lança dans l’écriture de Six Quatuors Parisiens, plus tard complétés par six autres, qui feront connaître en Allemagne les arcanes d’un style qui y fera des ravages. Musique heureuse, qui montre un compositeur tout à la découverte de modes nouveaux, débarrassé de ses encombrants devoirs de Kappelmeister, faisant sienne cette élégance du discours qu’il entend dans les salons du Prince de Conti où il est reçu avec attention. Telemann opère ici une fusion des styles qui fera date. Vatel les publiera et le compositeur obtiendra désormais de la Cour de Hambourg de pouvoir faire imprimer ses œuvres également à Paris.
Très enregistrées – on garde pour les Six nouveaux Quatuors, un ensemble en soi dont Les Ombres ne présentent que le 6e, une préférence pour la version princeps du Quadro Amsterdam avec la flûte de Frans Brüggen chez Teldec – ces partitions demandent une connaissance consommée des mètres à danser, car Telemann, féru d’opéra, ne déserta guère l’Académie Royale de Musique où l’on reprenait justement Atys.
Les trois Quatuors de 1740 qui forment le reste du disque sont presque didactiques pour ce qui est du mariage des styles : la réunion des goûts y transcende le simple souci de transcrire l’art français, sonates à l’allemande ou concertos à la française, ces effets d’annonce recouvrent une langue qui fait son miel de tout ce que l’Europe comporte de musiques diverses, de la France à la Pologne, de l’Angleterre à l’Italie.
Musique brillantissime, inventive, dont la flûte éloquente de Sylvain Sartre dit tout. La profondeur du jeu d’ensemble des Ombres est un bonheur sans mélange, elle donne à entendre le génie créatif d’un compositeur qui doit retrouver sa juste place auprès de Bach et de Haendel !
LES DISQUES DU JOUR
C. P. E. Bach (1714-1788)
Concertos et Sonates en trio pour flûte
Alexis Kossenko, flûte traverso et direction
Les Ambassadeurs
Arte Dei Suonatori
Un coffret 3 CD Alpha 821
Georg Philipp
Telemann
(1681-1767)
Quatuors parisiens
Les Ombres
(Margaux Blanchard & Sylvain Sartre, direction)
Un album du label Mirare MIR255
Photo à la une : (c) DR