Oui, on a juste un peu de retard, une année ! Mais c’est le bonheur du discophile tentant de ranger sa discothèque, une pile s’écroule, un disque reparaît : Le Piano français de Chabrier à Debussy. Cet album qui ne va pas jusqu’à Ravel pour mieux saisir tout l’esprit d’un art musical exactement contemporain de celui des Impressionnistes en peinture était de son temps microsillon un de nos disques de chevet. Et pas pour le programme. Pour la pianiste. Magda Tagliaferro signait là en 1961 un de ses albums majeurs que le CD ignora, sinon au Japon, jusqu’en 2014.
Usé jusqu’à la corde le microsillon, surtout Idylle, autant peint que dessiné. Ce Chabrier-là vous avait une éloquence et des paysages que personne, même Marcelle Meyer ou Aldo Ciccolini, n’y mettait.
Tout pour le timbre ! Cela aurait pu être la devise de Magda Tagliaferro. Cet art des couleurs, du relief, cet usage comme improvisé des accents, le brio naturel, la fantaisie parfois dévastatrice, l’inégalité des registres, tout enchante comme venant d’un autre temps pianistique. Et pour le paysage du piano français alors il se révélait porteur d’un exotisme assez incroyable.
Tagliaferro avait beau être l’élève de Marmontel et de Cortot, un pur produit des institutions musicales nationales, c’est l’opulence du Brésil qui ébroue son clavier. Les Ibériques en bénéficiaient d’abondance, quelques séances pour Ducretet en ont gardé la mémoire. Youtube diffuse un extrait de l’émission que Bernard Gavoty lui consacra où elle ne fait qu’une bouchée de la redoutable transcription de la Danse de La Vida breve [Falla] commise par Gustave Samazeuilh, et en la voyant jouer avec tout le corps on comprend mieux d’où lui vient ce son éclaboussant, ces notes-lumières. Pas si éloigné d’Alicia de Larrocha.
Avec cela un art du récit, rien jamais qui se réfère à la musique pure, plutôt tout impur, sensuel, généreux jusqu’à risquer la dispersion. Peu importe, car derrière tant d’invention et de propos, une grande technique veillait, du moins encore en 1961. Pour le piano, chanté à pleine main, reste toujours aussi scotchant comme L’Isle joyeuse jouée dans un grand soleil éclaboussé d’embruns, et la caracolante Etude en forme de valse de Saint-Saëns déroule tout un corps de ballet faisant ses entrechats. Une pointe d’humour pour faire briller un peu plus une virtuosité diabolique.
On revient encore une fois à l’image vivante du Retour des muletiers de Cerdana : Séverac était donc vraiment un génie ? Ce supplément de vie, cette générosité irradiante, Magda Tagliaferro les mettait à tout ce qu’elle touchait. C’est si bon de s’en ressouvenir soudain. Bravo Magda !
LE DISQUE DU JOUR
MAGDA
TAGLIAFERRO, piano
Le Piano français de
Chabrier à Debussy
Œuvres de Chabrier,
Séverac, Hahn, Saint-Saëns, Debussy
Un CD Erato 0825646328413