Version corrigée à l’intention d’Yves Riesel et d’Alain Lompech, mes lecteurs attentifs
Totalement oublié Ignace Neumark, sinon des quelques abonnés à la Guilde du Disque survivants encore aujourd’hui. J’avais souvent croisé ses deux albums en fouillant aux Puces de Saint-Ouen, mais les avait laissés dans les bacs. Neumark, Orchestre Symphonique d’Utrecht, tout ça dans l’Héroïque ou la 9è de Schubert…
Finalement, je les ai achetés à New York. Un jour que je poussais la porte de Griffon, je fus cueilli par les deux premiers accords de l’Héroïque, si tranchants, si lancés. C’était Neumark. Ce qui aux Puces valait cinq francs les deux disques, le vendeur de Griffon en voulait vingt dollars pièce. Je les ai aussitôt déboursés.
Donc, un parfait inconnu pouvait diriger plus moderne, plus engagé qu’aucun de ses contemporains ces deux chefs-d’œuvre de la littérature symphonique ? Si l’on devait chercher un parallèle à cette manière svelte de tout articuler et faire chanter, Carl Schuricht s’imposerait, un des hérauts de la Guilde lui aussi, bien plus prolifique que Neumark qui n’enregistrât en tout et pour tout que trois œuvres : l’Héroïque,la Grande de Schubert et Mort et Transfiguration.
Né polonais le 27 juillet 1888, étudiant au Conservatoire de Varsovie, il se perfectionne à Leipzig où il devient un des disciples d’Arthur Nikisch. Tout s’explique, cet art est bien de haute école. Mais une carrière, pourtant brillamment commencée en Allemagne, gagne vite la marge. Certes, il sera le patron de l’Orchestre Philharmonique d’Oslo jusqu’en 1953 – qui nous rendra les archives engrangées par la Radio Norvégienne ? – mais établi dès 1921 aux Pays-Bas, il ne put y jouer que les emplois secondaires.
L’omnipotent Mengelberg ne lui laissa guère l’accès au Concertgebouw, et après-guerre van Beinum, van Otterloo, van Remortel, Flipse, occupaient le terrain, sans oublier Jean Fournet.
Tout aussi saisissant que fut l’art d’Ignaz Neumark, l’opulente vie musicale néerlandaise le cantonna aux utilités. La Radio de La Haye conserve la trace des saisons d’été où Neumark dirigeait la Philharmonie au Kurhaus de Scheveningen, et basta.
Mais une fois pénétré dans les vastes vaisseaux de lumière que deviennent sous sa baguette l’Héroïque ou la Symphonie en ut, impossible de s’en déprendre. Et comme cet orchestre supposé de second rang joue et tonne, s’élance et chante, c’est merveille ! Du moins ce doublé éclatant et éloquent a été reporté au CD par Forgotten Records, gardant les dynamiques affûtées des microsillons d’origine. Qui s’y risquera sera payé en retour de sa curiosité par une sacrée découverte !
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Héroïque »
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 9 en ut majeur, D. 944 « Grande »
Orchestre Symphonique d’Utrecht
Ignace Neumark, direction
2 CD Forgotten Records FR172/3
Photo à la une : (c) DR