Un tropisme russe poursuit Steven Osborne, auteur au disque d’une trop méconnue intégrale des Préludes de Rachmaninov et d’une lecture singulière des Tableaux d’une exposition. Il persiste et signe avec cette fois un programme de haute virtuosité pianistique, mettant en regard deux compositeurs qui s’appréciaient à leur juste valeur, et dans la vie, deux amis. La mort de Rachmaninov le 28 mars 1943 acheva d’isoler encore plus Nikolaï Medtner, le dernier des romantiques russes.
Leurs œuvres composées souvent en écho les unes aux autres – c’est vrai des concertos mais pas seulement – partagent une écriture quasiment commune : chromatisme saturé, goût pour les ornements expressifs, virtuosité étourdissante, avec en plus chez Medtner un art de la divagation harmonique. Osborne chante avec ardeur les paysages brossés à fresque dans la Sonata Romantica, œuvre emblématique du piano medtnerien, d’une complexité d’écriture qui demande des moyens pianistiques hors du commun. Réussite totale. Moins dans les Skazki Op. 20 dont le second demande plus de fantaisie.
On attendait avec curiosité de savoir comment il allait se débrouiller de la Seconde Sonate de Rachmaninov. Quelle version de la partition ? La sienne et non pas celle qu’Horowitz tira des deux moutures de l’œuvre avec l’assentiment du compositeur, une manière de revendiquer le statut de créateur de l’interprète. Et en effet, la proposition d’Osborne diffère, même si souvent il adhère aux choix d’Horowitz, allant jusqu’à reproduire la coupure effectuée dans le développement de l’Allegro agitato. Mais surtout son piano plein et alerte pourtant n’y sature jamais, donnant à entendre aussi bien la profusion harmonique que les polyphonies des lacis ornementaux.
Et les terribles accords de la main gauche qui emporte le premier mouvement auront rarement résonné avec une telle couleur de tonnerre. Cela chante aussi lorsqu’il faut, et plus encore dans les ténébreuses Variations sur un thème de Corelli, sans pourtant atteindre à l’expressivité qu’y mettait Lazar Berman.
Et maintenant, on espère les Etudes-Tableaux !
LE DISQUE DU JOUR
Nikolai Medtner (1880-1951)
Skazki, Op. 20
Sonate en si bémol mineur, Op. 53 No. 1 « Sonata Romantica »
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Variations sur un thème de Corelli, Op. 42
Sonate No. 2 en si bémol mineur, Op. 36 (version réalisée par Osborne lui-même)
Steven Osborne, piano
1 CD Hyperion Records CDA67936
Photo à la une : (c) Benjamin Ealovega