L’orchestre réinventé

Toute l’œuvre symphonique de Schumann annonce Audite. C’est donc qu’Heinz Holliger nous réserve encore trois volumes, l’un avec les œuvres concertantes pour piano et l’autre avec le Konzertstück pour quatre cors et le Concerto pour violon, quelques Ouvertures, et espérons, un supplément avec Manfred, ce chef-d’œuvre méconnu qui attend sa grande version discographique moderne depuis les lectures de Beecham et de Scherchen.

Si l’on veut une suite c’est que ces trois disques ont captivé notre attention. Comme celui proposé par Rattle à Berlin mais avant lui, car Holliger a commencé son intégrale en 2012, le Schumann du chef suisse prend en compte la nouvelle édition qui s’est nourrie aux sources manuscrites. Les équilibres du grand orchestre selon Schumann y apparaissent bien plus subtils, car les phrasés, les accents, y sont conduits d’une façon nouvelle. Littéralement, on ne reconnaît pas ici tout à fait le Schumann symphonique qu’on a fréquenté.

Mais ce paysage à peine changé introduit partout une poésie, un sens narratif, des apartés qui montrent bien que le compositeur des Novelettes cherchait une nouvelle voix où engager la musique d’orchestre romantique, toujours avec l’exemple de Beethoven en tête, certes, mais pour mieux s’en départir. Et Holliger ne triche pas. Lorsqu’il dirige la version originale de la 4e ce n’est pas, contrairement à Rattle, pour faire entendre une autre partition possible, mais bien un brouillon, un montage d’esquisses, qui ne tient pas, mais parle avec éloquence. La langue avant la structure.

Sommet de l’ensemble le second album réunissant la Deuxième Symphonie et la Rhénane. Ces deux vastes poèmes en arche éclatent le cadre de la symphonie romantique par leur propos narratif et même par la forme pour la Rhénane, laquelle aligne non plus les quatre mouvements classiques, mais cinq, encadrant le relatif Lento (noté prudemment Nicht schnell) par deux scherzos. Holliger les entend comme des œuvres venues d’ailleurs, absolument exogènes à toute tradition, et en effet lorsque survient le long thème déchirant de l’Adagio espressivo de la Deuxième effacé dans un trille des violons, on comprend qu’il faudra attendre Gustav Mahler pour entendre pareille musique.

Cette manière lyrique qui affadit un rien le Concerto pour violoncelle, mais va si bien à la Deuxième, Holliger l’abandonne pour la Rhénane et la version révisée de la 4e Symphonie. Soudain l’orchestre se creuse, les accords claquent, le geste devient péremptoire : on le comprend, Schumann symphoniste s’est trouvé. Les pupitres de la WDR peuvent chanter autant qu’ils le veulent, Holliger les accompagne d’un geste enthousiaste, presque avec ivresse.

LE DISQUE DU JOUR

cover schumann holliger vol1 auditeRobert Schumann (1810-1856)
L’œuvre pour orchestre, Vol. 1 :
Symphonie No. 1 en si bémol majeur, Op. 38 « Le Printemps » ; Ouverture, Scherzo & Finale en mi majeur,
Op. 52 ; Symphonie en ré mineur (version originale de la
Symphonie No. 4)

1 CD Audite 97.677

cover schumann holliger vol2 audite
Robert Schumann (1810-1856)
L’œuvre pour orchestre, Vol. 1 :
Symphonie No. 2 en ut majeur,
Op. 61 ;
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur,
Op. 97 « Rhénane »

1 CD Audite 97.678

cover schumann holliger cello concerto audite
Robert Schumann (1810-1856)
L’œuvre pour orchestre, Vol. 3 :
Concerto pour violoncelle
en la mineur, Op. 129 (1) ;
Symphonie No. 4 en ré mineur,
Op. 120 (version révisée, 1851)

1 CD Audite 97.679
Oren Shevlin, violoncelle

WDR Sinfonieorchester Köln
Heinz Holliger, direction

Photo à la une : (c) DR