À la mémoire de Nicolas Baron, le meilleur d’entre nous

Lily Laskine ! Ce petit bout de femme a révélé la harpe au public français, pas celui des concerts, celui de la télévision ! Jacques Chancel savait qu’il tenait avec cette vieille dame sans façon, pleine de verve, un phénomène. La parole était drue, les mines vives ; dès qu’elle gagnait sa harpe, le ciel s’ouvrait. La sonorité pure mais jamais évanescente, le jeu timbré obtenu par ses doigts-crochets qui sollicitaient les cordes et en tiraient exactement ce qu’ils voulaient en terme d’intensité et de couleur ont frappé l’imaginaire collectif des Français – époque heureuse où des musiciens furent des idoles du grand public : Maurice André connut la même gloire.

Si l’on est émerveillé par le strict jeu instrumental de Laskine, cela ne suffit pourtant pas à expliquer sa magie. La phrase était d’une cantatrice ou d’une tragédienne, avec une noblesse, une diction, des accents qu’aucun harpiste n’y avait mis avant elle, du moins au XXe siècle. Les couleurs si individuelles, parfois tranchées, parfois subtilement appariées, faisaient les perspectives de son jeu changeantes en un clin d’œil. Il y avait tant d’espace dans cette petite échelle dynamique qu’on comparait son art à celui d’un pianiste.

Le 78 tours la capta dès les années trente, alors qu’elle avait atteint dans sa quarantaine une célébrité qui dépassait déjà les frontières de son pays natal. Répertoire XXe siècle d’abord, avec pour partenaire privilégié Marcel Moyse, et sa flûte de faune. Sonate de Debussy très automnale (avec Alice Merckel à l’alto), Introduction et Allegro de Ravel avec les Calvet, deux œuvres auxquelles elle reviendra régulièrement pour le disque. Et avec orchestre la Pièce de concert de Henri Büsser sous sa baguette, le Concertstück de Pierné, les Danses de Debussy dirigés par le boss de la maison, Piero Coppola. En juillet 1947, elle qui voyageait si peu volontiers consentit à emmener sa harpe jusqu’à Abbey Road. Impossible de résister à l’invitation de Beecham qui la voulait impérativement pour enregistrer le Concerto de Mozart avec René Le Roy.

La guerre passa, on croyait la harpe et son répertoire perdus à jamais, mais l’apparition d’un nouveau label au cours des années cinquante, Erato, allait changer la donne. En 1958, Michel Garcin, se souvenant des gravures du Concerto de Mozart par Laskine avec Beecham puis Oubradous, lui propose de réenregistrer l’œuvre, cette fois-ci avec Jean-Pierre Rampal et l’orchestre de Jean-François Paillard. Succès commercial faramineux. Pour Erato, Laskine va graver ce qui constitue l’objet de ce coffret ICON, la plus complète anthologie d’œuvres écrites pour la harpe, à la chambre comme au concert, jamais présentée au disque.

Quelques titres connurent une carrière insolente, comme le Concerto de Boieldieu, chef-d’œuvre à vrai dire que seule Laskine a su révéler dans toute sa nostalgique poésie. Ce fut, des salons de l’Empire aux splendeurs concertantes, rendre accessible la littérature oubliée de deux siècles où l’instrument rayonna. Et dévoiler bien des merveilles. A quoi s’ajoutent les œuvres contemporaines que Laskine suscita, ensorcelant Concerto de Jolivet, poétique et surprenante Sonate pour flûte et harpe de Damase.

La somme reparaît enfin, augmentée des 78 tours et des ultimes gravures pour EMI, entièrement remasterisées. Dans ses marges, on grappille même quelques merveilles vocales : Bernard Kruysen chantant de son baryton mordoré « Mon cœur soupire » de Dalvimare, nous rappelle qu’il enregistra avec Jean-Charles Richard quelques albums pour Erato qu’on aimerait bien revoir paraître. Mais la perle c’est Mary Marquet en 1933 dans les Couplets de l’Oiselière. Autre temps, autres mots, et dessous la harpe pleine d’esprit de Laskine qui donne la réplique comme si elle était ce Lysandre à laquelle la jeune fille fait ses invites.

Magnifique ensemble qui rend justice à celle qui réinventa son instrument et dont on ne se lassera de feuilleter les portées.

LE DISQUE DU JOUR

The Complete Erato and HMV Recordings

Lily Laskine, harpe

Un coffret de 14 CD Erato 0825645310630

Photo à la une : (c) DR