On attend toujours avec excitation les premières mesures de la Sixième Sonate de Prokofiev où éclate un clairon militaire et obstiné. Yury Martynov le cuivre et lui donne un galbe assez incroyable. Le long Cantabile qui suit la première section, pris murmurando, avec des couleurs et des échos troublants, montre une science de la pédale extrême qu’on avait déjà perçue dans les disques des Symphonies de Beethoven transcrites par Liszt.
Ce piano sait donner de l’espace, ouvrir des champs. Dans une œuvre aussi cinématographique que la Sixième Sonate, c’est une vertu, comme ce jeu où l’empilement vertical reste toujours clair, quitte à se donner le temps pour pouvoir mettre tout en résonance. Le climax du premier mouvement atteint non pas un point de saturation, mais produit une implosion. Sonate de guerre, les obus tombent, l’onde de choc vous atteint. Interprétation transcendante, et toujours subtile comme le prouve la délicate articulation harmonique d’un blues – plus nostalgique tu meurs – derrière le Tempo di Walzer.
Le reste du disque est du même niveau : Cinquième Sonate en lumière, Pensées ruminées, déprimées, Musiques pour les enfants non pas descriptive mais narrative. Le Prokofiev de Martynov est une sacré surprise.
LE DISQUE DU JOUR
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate No. 5 en ut majeur,
Op. 38
Sonate No. 6 en la, Op. 82
Pensées
Musiques pour les enfants
Yury Martynov, piano
Un album du label Zig-Zag Territoires ZZT346
Photo à la une : (c) DR