Gala publie deux bandes de radio dévoilant des versions jusque-là inédites de Boris Godounov et de La Pucelle d’Orléans.
Boris Godounov, RAI de Rome le 6 mai 1972 : Boris Khaïkine officie et dirige sa propre version de l’opéra (1), document qui serait déjà inestimable par sa seule présence, même si l’on dispose d’une captation filmée du spectacle du Bolchoï sous sa baguette et avec le Tsar d’Evgeni Nesterenko et la Marina d’Irina Arkhipova (2).
Mais s’ajoute à la vision noire et épique de Khaïkine la présence de Nicolaï Ghiaurov campant un Boris étreignant. La beauté de la voix n’est plus à louer, mais ici il atteint à un degré supérieur dans l’incarnation du tsar, surclassant ses prestations pour Karajan au Festival de Salzbourg ou au studio Decca, Karajan qui n’avait pas renoncé aux fastes de la version Rimski-Korsakov.
Confrontée à la relative nudité de la mouture Khaïkine, sa voix va plus loin dans la psychologie du personnage, sans histrionisme, presque parfois avec fragilité. Et l’éditeur ajoute un bonus surprenant où Ghiaurov, capté à l’Opéra de Sofia le 17 avril 1959, chante Pimen d’une voix dont le bronze évoque celle de Mark Reizen : toute la première scène de l’Acte I, avec le Grigori de Dimiter Uzunov, et la confrontation avec Boris à l’Acte IV où il donne la réplique à son professeur, Christo Brambarov, témoignage précieux entre tous, documentant enfin ce pédagogue de première importance qui fut un Tsar de légende.
Le reste de la distribution conserve trois autres incarnations majeures : le Grigori de Ludovic Spiess, mordant, venimeux, l’Innocent d’Anton Grigoriev copié sur celui d’Ivan Kozlovsky, déchirant, et le Pimen de Mark Rechetin, plus empereur que moine, un autre Boris.
C’est de Paris que nous provient une lecture en concert sensiblement coupée de La Pucelle d’Orléans, fresque historique mais œuvre un rien maudite de Tchaïkovski, rédimée à chaque génération par une grande mezzo russe. Sofia Préobrajenskaya, puis Irina Arkhipova tentèrent de la faire renaître.
Irina Arkhipova, quatre années après son enregistrement pour Melodiya, présente sa Jeanne d’Arc visionnaire au public parisien : on n’est jamais très loin de sa légendaire Marfa, même si la tessiture de Jeanne est plus élevée. Voix magnifique, au zénith de sa plénitude et qui à elle seule fait cette soirée historique. Son Charles VII n’est autre que son époux, Vladislav Piavko, ténor héroïque, d’un métal incroyable.
Si l’on ajoute le Thibaud d’Arc de Nicolas Ghiuselev et le Cardinal de Paül Marinov, on tient une distribution de première force menée grand train par la baguette fébrile de Jean-Pierre Marty, qui fait rugir les forces de Radio-France et dépeint à fresque le champ de bataille devant Reims au début du troisième acte.
L’éditeur ajoute tout un récital partagé par Irina Arkhipova et Vladislav Piavko au Wigmore Hall de Londres le 22 mars 1983. Captation amateur – on entend les commentaires de ceux qui enregistrent entre chaque morceau – mais de très bonne qualité.
Pour lui, évidemment son Hermann de légende mais aussi des duos de Boris et du Trovatore, pour elle un de ses bouquets de mélodies russes choisies parmi les plus rares (Rubinstein, Rimski-Korsakov, Borodine, Cui) et des Mozart ! Les deux airs de Chérubin et un incroyable « Deh per questo instante solo » de Sesto. En 1983, la voix était toujours cet incroyable tissage de velours et de soie où chaque mot s’incarne dans son sentiment. Une leçon de chant.
(1) A noter : contrairement à ce qui est annoncé par l’éditeur dans l’index du premier CD, la première scène de l’Acte I précède le Prologue. Khaïkine pratiqua parfois cette interpolation, on croit donc qu’il ne s’agit pas d’une méprise de l’éditeur mais bien de l’écho de la soirée dans l’ordre voulu par le chef.
(2) cf. référence DVD Bolshoï ACE11076F : Moussorgski, Boris Godounov – Nesterenko, Kalinina, Grigorieva, Piavko, Arkhipova – Chœur et Orchestre du Bolchoï, Boris Khaïkine (1978)
LE DISQUE DU JOUR
Modeste Moussorgski (1839-1881)
Boris Godounov
Nicolaï Ghiaurov, basse (Tsar),
Mark Rechetine, basse (Pimen),
Ludovic Spiess, ténor (Grigori),
Andrei Grigoriev, ténor (L’Innocent),
Ruža Pospiš-Baldani, mezzo-soprano
Aleksandr Vedernikov, basse
Chœur et Orchestre Symphonique de la RAI de Rome
Boris Khaïkine, direction
Un coffret de 3 CD Gala GL100626
Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
La Pucelle d’Orléans
Irina Arkhipova, mezzo-soprano (Jeanne d’Arc),
Vladislav Piavko, basse (Charles VII),
Nicolas Ghiuselev, basse (Thibaud d’Arc),
Paül Marinov, basse (L’Archevêque)
Chœur et Orchestre Philharmonique de Radio France
Jean-Pierre Marty, direction
Un coffret de 3 CD Gala GL100627
Photo à la une : (c) DR