Retour pour une dizaine de jours dans cet endroit exceptionnel qu’est l’Historischer Reitstadel de Neumarkt in der Oberpfalz, pour une nouvelle série d’enregistrements. Cinq pianistes d’horizons divers se succèderont entre les 1er et 11 novembre prochains, parmi lesquels trois nouveaux artistes qui rejoignent l’écurie Artalinna : l’extraordinaire pianiste chinoise Ran Jia, ainsi que l’élégant Florian Noack et l’étonnant Benedek Horváth, et l’ingénieur du son Frédéric Briant assurera une nouvelle fois la réalisation technique de tous ces projets.
C’est Philippe Guilhon-Herbert qui a ouvert le bal de notre séjour de fin d’automne au cœur de cette petite ville tranquille et sereine du Nord de la Bavière. Deux journées particulièrement furioso, pendant lesquelles le pianiste français – déjà auteur de deux albums chez Artalinna, « L’Esprit des Ballets russes » et Schubert (avec un merveilleux piano Steingraeber enregistré au Temple Saint Marcel par Nikolaos Samaltanos) – s’est plongé dans le romantisme exalté de Liszt, dialoguant avec celui, plus mélancolique et tragique, de Chopin.
De Liszt, Philippe Guilhon-Herbert avait sélectionné trois pièces grandioses, brillantes, amplement développées et d’une virtuosité redoutable : la Seconde Ballade (publiée pour la première fois en 1854 à Leipzig), la Légende de Saint-François de Paule marchant sur les flots (1863), ainsi que la célèbre Méphisto-Waltz (No. 1, 1859-1862). Il avait adjoint, à ces trois pièces du compositeur hongrois, sept Études de Chopin, choisies dans les deux Opus, ainsi que la complexe Quatrième Ballade, Op. 52 (1843).
Philippe Guilhon-Herbert souligne le style conquérant, héroïque, et orchestral de Liszt, dont il dit volontiers qu’il fut « son premier amour musical » alors qu’il était préadolescent. « Ses études – transcendantes –, ses Légendes, ses Rhapsodies ont accompagné toute cette période d’éveil que sont les années 12-16 ans. Sa vie-biographie me fascinait. Pianiste prodigieux, père spirituel, grand séducteur, il incarnait alors le parfait héros. »
En toute logique, la prise de son de Frédéric Briant exploite par ailleurs la grandeur de l’acoustique de l’Historischer Reitstadel : basses d’une grandeur phénoménale – on entend dans les trémolos, au début de Saint-François de Paule un vrai pupitre d’orchestre : voici de vraies violoncelles, contrebasses, peut-être doublés légèrement de contrebassons, pour un peu plus de soyeux. Une telle largeur, une telle ampleur vous cloue quand même sur place.
Philippe Guilhon-Herbert dévore son piano (finement travaillé par Christian Niedermeyer, toujours disponible et à l’affut du moindre décrochage des registres aigus, notamment dans la Mephisto-Waltz) et exploite à merveille la science des registres prodiguée par Liszt.
Guilhon-Herbert avoue sans détours son admiration pour la partie lente et centrale de la Mephisto-Waltz, sensuelle, passionnée dans la retenue : il l’avait entendue quelques mois auparavant par Pogorelich à Paris, complètement fasciné par ce qu’y avait donné à entendre son collègue qui s’était naturellement distingué par ses tempos d’une lenteur infinie, révélant ici la force envoûtante de la musique – cela ne semblait plus être le cas dans la Sonate en si mineur qui avait suivi lors de ce concert.
Ces nouvelles interprétations de ces trois œuvres phares de Liszt bénéficieront d’un son spectaculaire, explosif, et se distingueront par un jeu pénétrant et puissant. Sous les doigts de Guilhon-Herbert, Chopin, ici, offrirait presque un peu de douceur et de tendresse si le choix d’études, rapides, denses, ne tendait pas à un flot ininterrompu d’expressions d’essence plutôt tragique. Un bonheur, toutefois, d’entendre par exemple ces Op. 10 No. 6 et Op. 25 No. 12 – quelques-unes des plus belles pages de Chopin – dans lesquelles Philippe Guilhon-Herbert souligne l’inéluctable, le noir, l’absence de rémission possible.
Photo à la une : (c) Pierre-Yves Lascar – Le pianiste Philippe Guilhon-Herbert en novembre 2014, à Neumarkt in der Oberpfalz