Jean-Paul de Launoit nous a quittés le 12 novembre dernier. Je garderais le souvenir d’un homme souriant, à l’écoute des artistes comme peu savent l’être, et dont la générosité, en temps et en moyens, paraissaient sans borne. Avec cela une culture, un esprit, un don d’empathie qui font son absence plus cruelle encore.
Il était devenu officiellement depuis 1987 l’âme du Concours Reine Elisabeth – Président du Conseil d’administration, un titre qui ne saurait réduire le rayonnement qu’il apporta à cette institution : le rêve d’une reine violoniste auquel Eugène Ysaÿe souffla l’idée d’un concours destiné à aider les jeunes artistes. Les deux premières sessions, qui se tinrent en 1937 puis en 1938 devaient divulguer au public occidental rien moins que David Oïstrakh puis Emil Gilels !
Jean-Paul de Launoit veilla avec tact et tendresse sur l’héritage que lui avait confié la Reine Fabiola, et il ne fut pas pour peu dans la création du label discographique dévolu à la publication des épreuves du concours, illustré entre autres par des coffrets de 3 CD, dont le premier parut à l’occasion du concours de chant 1996, son œuvre.
Mais à l’occasion du 75e anniversaire de ce qui est une des institutions du monde musical parurent deux livres-disques en résumant quelques-uns des plus grands moments. Les captations révèlent des artistes à l’ouverture de leurs carrières, les livres dans lesquels ils se trouvent enchâssés portent leurs témoignages sur les épreuves et s’ornent de photographies précieuses.
Le volume consacré au violon aligne Repin, Znaider, Miriam Fried, et bien d’autres. Surprise, Gidon Kremer y joue avec une flamme dévorante le Concerto d’Elgar, un opus qu’on ne s’attendait vraiment pas à entendre sous ses doigts et qu’il recrée littéralement. Mais plus extraordinaire encore pour le jeu violonistique pur, le Premier Concerto de Paganini ressuscite un violoniste emporté à cinquante ans par une tumeur au cerveau, l’un des virtuoses majeurs de sa génération doublé d’un musicien inspiré, Philippe Hirshhorn. En entendant ce violon noble, on pense immédiatement à Julian Sitkovetzky.
Un sombre Concerto de Sibelius selon Nikolaj Znaider, Yossif Ivanov délivrant une lecture hallucinée du Premier de Chostakovitch, Barnabas Kelemen, rhapsode dans le Second de Bartók, Vadim Repin, époustouflant dans un Tchaïkovski de haute école nous rappellent que le Concours a révélé les talents majeurs du violon d’aujourd’hui (s’y est ajouté depuis Sergueï Khatchatrian, lauréat 2005).
Le piano serait-il en reste ? Si les talents violonistiques sont rares, les pianistes sont légion. Le choix est donc d’autant plus ardu. Mais depuis Gilels, les jurés du Concours ont souvent visé juste. Un Premier Concerto de Liszt transcendé en 1956 par Vladimir Ashkenazy – sonorité de rêve, virtuosité asservie au discours – constitue un ajout essentiel à son legs : il ne l’enregistrera jamais pour le disque.
Et Jeffrey Swann, en 1972 emporte avec fantaisie et vitalité le mi mineur de Chopin qu’on n’aura jamais entendu aussi libre et conquérant. Leon Fleisher se transcende dans un ouvrage qui lui deviendra familier, le Premier de Brahms, Pierre-Alain Volondat délivre un cantabile capricieux et captivant dans un Second de Liszt plein d’imagination, mais deux surprises majeures guettent : en piano somptueux, jouant large et timbré, Malcolm Frager fait sonner les volées de cloches du final du Premier Concerto de Prokofiev avec un sens des couleurs et des contre-chants inouïs. Tout au long de son interprétation, la virtuosité éblouit, et plus encore, la justesse du sens musical.
Un destin tragique attendait Andrei Nikolsky, 1er Prix 1987, disparu prématurément le 3 février 1995 dans un terrible accident de voiture près de Waterloo. Trois beaux disques gravés pour Arte Nova constituaient jusque-là son seul legs discographique. Un Troisième Concerto de Rachmaninov s’y ajoute, pure poésie, tiré par l’artiste vers l’intime, la confidence. Jamais le clavier ne se sature, jamais ce toucher n’assène, tout sonne fluide, élégant, pudique et un final fusant, sans sollicitation, montre que l’artiste dominait le virtuose.
On reviendra sur les abondantes parutions de ce Concours dont l’âme vient de nous quitter. Il fallait bien, une fois l’émotion dissipée, qu’on lui rende hommage.
LES REFERENCES DE L’ARTICLE
– Ysaÿe & Queen Elisabeth Competition – 75 Years, Violin – Un album disques-livre de 4CD Muso MU-002
– Ysaÿe & Queen Elisabeth Competition – 75 Years, Piano – Un album disques-livre de 5CD Muso MU-005
On peut se procurer ces albums sur le site du Concours Reine Elisabeth à l’adresse suivante : www.cd-elisabeth.be/cd_fr.html