Diaghilev lui devra l’un des premiers succès de sa compagnie avec Le Pavillon d’Armide, il sera son chef d’orchestre attitré pour plusieurs saisons, et produira un ballet magnifique, anticipant par le style, les procédés, presque le sujet, Daphnis et Chloé de Ravel : Narcisse et Écho, créé à Monte-Carlo, juste une année avant que Paris ne voit le chef-d’œuvre de Ravel.
Nikolaï (ou Nicolas) Tcherepnine a aujourd’hui totalement disparu dans l’ombre de son fils, Alexandre, injustice que le disque répare peu à peu. Élève de Rimski-Korsakov, passé maître dans l’art de la couleur orchestrale, fer de lance de ce que l’on a nommé « Les Grands épigones », cercle de compositeurs réunis autour de Rachmaninov, il laissera un catalogue varié, mariant les styles français et russes seulement dans ses opus symphoniques. Car retourné au piano, c’est la seule Russie qui habite ses portées, et plus encore, texte oblige, dans ses admirable mélodies, tout compte fait le meilleur de sa création.
Sensible au symbolisme, il s’attache à la poésie de Konstantin Balmont. Sa Suite océanique, cycle composé d’après les Incantations de Balmont, écrit en 1917, est une manière de chef-d’œuvre sans équivalent dans le répertoire vocal russe, entre déclamation et chant, mais boudé par les chanteurs de son pays natal ; Tcherepnine fut, comme Rachmaninov ou Medtner, un exilé, mais demeuré à Paris, resté en quelque sorte hors des circuits, prisonnier de l’Occupation ; disparu en 1945, période propice à l’oubli, il se vit refuser la postérité qui échut à ses amis.
Heureusement l’infatigable label britannique Toccata, assoiffé d’inédits discographiques, a publié deux albums monographiques qui dévoilent l’œuvre de Tcherepnine hors orchestre. David Witten en est l’apôtre, pianiste découvreur.
Un plein disque de mélodies, dominé par la Suite océanique, mais qui présente également l’autre recueil majeur, les Poèmes japonais de 1933, affirme son statut singulier. Bien plus qu’un épigone, un artiste majeur. Elena Mindlina, mezzo sombre, diseuse subtile, trouve le ton de ces cahiers énigmatiques, comme celui plus lyrique des Contes de fées, de 1905 (Balmont toujours).
A cet album, David Witten ajoute tout un disque de pièces pour le piano. L’écriture abondante, ornée, imaginative, très complexe rythmiquement, foisonnante, fait irrésistiblement songer à celle de Medtner, surtout dans Le Conte du pécheur et du poisson. Mais ce clavier, entre illustration et récit développe, un univers onirique singulier, comme la coda d’un romantisme tombé depuis longtemps dans les sortilèges. Kachtchei, le sorcier de magie noire auquel Tcherepnine dédia un de ses chefs-d’œuvre symphoniques, Le Royaume enchanté, n’est jamais bien loin.
LE DISQUE DU JOUR
Nicolas Tcherepnine (1873-1945)
4 mélodies, Op. 8 & 16
Contes de fée, Op. 33
Poèmes japonais, Op. 52
Suite océanique, Op. 53
(Enregistrements en première mondiale)
Avec la chanteuse Elena Mindlina, mezzo-soprano
Nicolas Tcherepnine
3 Pièces, Op. 24
14 Esquisses d’après des Tableaux issus de l’Alphabet russe, Op. 38
Le Conte du pêcheur et du poisson, Op. 41 (extrait des 6 Illustrations musicales d’après Pouchkine)
(Enregistrements en première mondiale)
David Witten, piano
2 albums du label Toccata Classics TOCC0221 et TOCC0117
Le site de la Société Tcherepnine : www.tcherepnin.com