Bach x 2

Lisa Batiashvili chante avec onction la Sinfonia en fa. Ce violon profond qui parle est toujours aussi beau, mais dans Bach est-il aujourd’hui encore possible ? Pour moi oui, rompu à ce que Oistrakh, Ferras, Menuhin, Szeryng y produisirent : ce Bach un peu droit, aux carrures affirmées, sur le cantabile plutôt que dans la polyphonie.

Mais Batiashvili joue aujourd’hui, et même si son violon est monté en fer, elle a appris les leçons de l’interprétation historiquement informée. Pas de vibrato, un vrai sens de la pulsation rythmique tout au long du Concerto en mi majeur – qui est d’ailleurs la seule œuvre recoupant le programme enregistré par Giulio Carmignola dans son disque Archiv – mais dans l’Adagio bercé de couleurs vénitiennes, à nouveau ce phrasé issu du romantisme. J’adore, d’autant que les œuvres choisies composent un autre portrait du violon chez Bach : avec François Leleux, son hautboïste de mari à la ville, elle donne une lecture pastorale et alerte du Concerto en ut mineur, et elle abandonne l’orchestre pour se mesurer à la Sonate No. 2 (BWV 1003), très grand style.

Une transcription (« Erbarme dich, mein Gott »), et une surprise – la Sonate en trio en si mineur de Carl Philipp Emmanuel Bach où la rejoignent Emmanuel Pahud, Sebastian Klinger et Peter Koffer – achèvent de faire du disque une promenade chez Bach dont je ne me lasse pas.

Le propos de Giuliano Carmignola est tout autre. Il inscrit son disque dans le sillage de ceux, si abondants, gravés depuis vingt-cinq ans par ses confrères violonistes baroques. Sujet monographique, tous les Concertos pour violon que Bach nous a légués. Mais son angle de vue diffère de ceux de Rachel Podger ou d’Andrew Manze.

Là où le plus souvent les violonistes baroques cherchent le discours, affutent la rhétorique, Carmignola voit partout la danse. Son archet fuse, irrésistible dans les Finales pris à des tempos de tempête, se fait léger, allusif dans les andante ou les adagios qui sont comme des parenthèses rêvées, et, derrière la virtuosité transcendée par une maîtrise du vocabulaire assez sciante, du caractère, un sens du discours dramatique que relaie Concerto Köln, soit par des paysages assez inouïs (comme dans le Concerto BWV 1043), soit par un jeu polyphonique affuté (premier mouvement du Concerto en mi majeur).

Mais il y a plus : on n’avait pas entendu Carmignola aussi inventif et aussi musicien depuis ses premiers albums Vivaldi chez Divox, comme si Bach suscitait dans son imaginaire d’artiste des perspectives nouvelles. Cela bouleverse la discographie de ce mince corpus, vous devrez l’entendre !

LE DISQUE DU JOUR

cover bach batiashvili dggJohann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto pour violon, cordes et basse continue No. 2 en mi majeur, BWV 1042
Concerto pour deux clavecins, cordes et basse continue en ut mineur, BWV 1060 (reconstitution pour violon et hautbois)
Sinfonia, de la Cantate « Ich steh mit einem Fuß im Grabe », BWV 156 (arr. pour violon)
Aria « Erbarme dich », de la Passion selon St. Matthieu BWV 244 (arr. pour violon, hautbois)
Sonate pour violon seul No. 2 en la mineur, BWV 1003
Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788)
Sonate en trio en si mineur pour flûte traversière, violon et basse continue, Wq.143

Lisa Batiashvili, violon
François Leleux, hautbois
Kammerorchester des Bayerischen Rundfunks
Radoslaw Szulc, direction
Emmanuel Pahud, flûte
Sebastian Klinger, violoncelle
Peter Kofler, clavecin

Un album du label Deutsche Grammophon 4792479

cover bach carmignolaJohann Sebastian Bach
Concerto pour violon, cordes et basse continue No. 1 en la mineur, BWV 1041
Concerto pour violon, cordes et basse continue No. 2 en mi majeur, BWV 1042
Concerto pour deux violons, cordes et basse continue en ré mineur, BWV 1043
Concerto pour clavecin, cordes et basse continue No. 5 en fa mineur, BWV 1056 (arr. pour violon en sol mineur)
Concerto pour clavecin, cordes et basse continue No. 1 en ré mineur, BWV 1052 (arr. pour violon en sol mineur)

Giuliano Carmignola, violon
Mayumi Hirasaki, hautbois
Concerto Köln

Un album du label Archiv 4792695

Photo à la une : (c) 2012 Anna Carmignola