Le secret le mieux gardé des Pays-Bas ? Alphons Diepenbrock. Intime de Mahler et son interprète (il dirigea la 4e Symphonie à la tête du Concertgebouw), ami de Richard Strauss, admiré par Schoenberg avec lequel il entretint une correspondance fournie, ce catholique en pays réformé fut aussi le traducteur des pièces de Shakespeare en néerlandais. Un érudit, un touche-à-tout dont on considéra assez légèrement le génie de compositeur de son vivant d’autant qu’il n’avait aucun talent de publiciste. Esthète de l’ombre.
Venue à Amsterdam pour donner un récital, Janet Baker découvrait, grâce à Bernard Haitink, Die Nacht, mise en musique envoûtante du poème d’Hölderlin. Deux années après, ils le donnaient en concert le 25 mars 1971.
La renaissance Diepenbrock commençait sous les meilleurs auspices. Mais elle ne se poursuivit pas au-delà d’espérances relatives. Une œuvre avait ressurgi, le compositeur restait connu d’un mince cénacle. Riccardo Chailly découvrit lui aussi ces partitions splendides alors qu’il gravait partiellement avec le Concertgebouw l’intégrale des Symphonies de Mahler.
Il inscrivit plusieurs fois Diepenbrock à ses concerts, un enregistrement de la vaste cantate Im grossen Schweigen avec Hakan Hagegard vint préluder à propos à la gravure pour Decca de la 7e Symphonie de Mahler et à ses Nachtmusik. Une anthologie chez Chandos acheva de dévoiler cet orchestre somptueux, ces mélodies subtiles, cet univers absolument singulier. Du moins en Hollande, et pour les Hollandais.
Etcetera a eu le courage de réunir en un coffret de huit CD complété d’un DVD l’intégralité de cet œuvre hors du temps, vaste nocturne doré où la voix est tour à tour poète ou oracle. La somme emprunte aux archives de la radio néerlandaise – Arleen Auger et Riccardo Chailly délivrent une interprétation stellaire de l’Hymnne an die Nacht – et divers projets phonographiques dont celui de Chandos. Tout un univers qui vous deviendra vite indispensable.
Et voici que les éditeurs indépendants s’inquiètent soudain de ce continent perdu. CPO publie à l’instant un album regroupant les scènes lyriques pour baryton. Collection de merveilles, plongée dans la Nuit Diepenbrock, dans ses cieux d’azur sombre, à la recherche du son lointain comme l’était à la même époque Franz Schreker.
Et Hans Christoph Begemann, de son baryton tendre et chaleureux où subsiste le souvenir du timbre de Dietrich Fischer-Dieskau, nous mène avec poésie dans ces espaces de rêves qui ne sont pas si loin de l’Abschied du Lied von der Erde. Et soigne son français dans la mise en musique si sensible d’En sourdine. Ah oui, j’avais oublié de vous le dire : Diepenbrock était polyglotte, s’il composa d’abord sur des poèmes allemands, la poésie française était son domaine de prédilection.
Otto Tausk anime le ciel nocturne en transfigurant son Orchestre Symphonique de St. Gallen. Album d’une sombre splendeur, portrait exact d’un compositeur que vous devez connaître.
LE DISQUE DU JOUR
Alphons Diepenbrock (1862-1921)
Anniversary Edition :
Œuvres pour orchestre et pour chœur, mélodies, œuvres religieuses
Un coffret de 8 CD et un DVD
du label Etcetera KTC 1435
Alphons Diepenbrock (1862-1921)
Lieder avec orchestre :
Hymnen an die Nacht,
Der König in Thule,
Es war ein alter König,
Im großen Schweigen,
En sourdine
Hymne, pièce pour orchestre
Hans Christoph Begemann, baryton
Sinfonieorchester St. Gallen
Otto Tausk, direction
Un album du label CPO 777836-2
Photo à la une : (c) DR