Les Petites symphonies

Les deux Sextuors de Brahms sont comme des satellites un rien éloignés de sa planète chambriste. 1860 et 1865, après les Quatuors et les Quintettes donc, magnifiques autant par la veine lyrique qui les parcourt en d’inépuisables mélodies comme par le jeu d’une écriture contrapuntique, où Brahms se souvient de ses chers Haendel et J. S. Bach.

Moins enregistrées que les autres opus chambristes, ces petites symphonies à six – Arnold Schoenberg s’en inspira pour définir l’esthétique et les moyens de sa première Kammersinfonie tout comme Franz Schreker d’ailleurs le fit pour la sienne – m’ont toujours déçu au disque à une exception près, l’enregistrement qu’en réalisa pour Philips en 1966 et 1968 les membres de l’Octuor du Philharmonique de Berlin emmené par Alfred Malecek. Un peu de paysages de Bohème y passait – magique automne doré.

Je le retrouve aujourd’hui dans la lecture à plein jeu, tour à tour ombreuse ou solaire, du Quatuor Sine Nomine rejoint par Nicolas Pache qui fut longtemps son altiste, dès les premières heures de la formation, ainsi que le violoncelle de François Guye, deux virtuoses certes mais d’abord deux musiciens.

La respiration commune des six archets déploie le geste symphonique auquel Brahms pensait en ouvrant ainsi les limites de son écriture pour cordes, l’espace est assez incroyable, et les tempos allants donnent à tout cela une intensité qui excède la chambre. On est vraiment dans deux symphonies, amplement conduites, où tout chante. L’ivresse du Finale du Sextuor en sol majeur fait écho à la Deuxième Symphonie presqu’au point d’en paraître son double.

Et le disque s’ouvre justement par le sol majeur, le deuxième du cahier, prélude solaire au grand nocturne en quatre sections du Sextuor en si bémol majeur. On a beaucoup glosé sur cette œuvre qui contient en son centre cet Andante dont la musique semble venue d’une autre planète, un des thèmes emblématiques de son auteur. Les Romands la jouent avec volupté, et un sens mélodique subtilement plié dans les lacis de timbres dont Brahms le revêt.

Lecture entêtante, qui ne vous laisse pas tranquille, et force l’écoute attentive. Et comme le violoncelle de François Guye y chante, éperdu ! Tout grand album, indispensable à qui veut saisir l’importance de ces deux opus pour comprendre la psyché brahmsienne.

LE DISQUE DU JOUR

cover brahms sine nomine sextets claves
Johannes Brahms
(1833-1897)
Sextuor No. 1, pour deux violons, deux altos et trois violoncelles, en en si bémol majeur, Op. 18
Sextuor No. 2 en en sol majeur, Op. 36


Quatuor Sine Nomine

Nicolas Pache, alto
François Guye, violoncelle

Un album du label Claves 50-1410

Photo à la une : (c) Pierre-Antoine Grisoni : le Quatuor Sine Nomine à Lausanne, en mars 2007