Heinz Holliger s’immerge depuis seize ans dans l’œuvre de Charles Koechlin. Cela devait bien le mener à Debussy. Il y entre par la grande porte, alors qu’il aurait pu commencer par Khamma, justement orchestrée et finalisée par Koechlin. Il grave ainsi les Images, les deux Rhapsodies et le Prélude à l’après-midi d’un faune.
Orchestre en pastel de gris, même pour Iberia ce qui en surprendra plus d’un ; direction large qui veut poursuivre un rêve quasi érotique partout. Holliger se regarde dans le miroir de l’orchestre debussyste avec presque trop d’abandon. Je n’avais pas entendu cette sensualité irradiante depuis Inghelbrecht ou Cluytens, les couleurs en moins.
Pour gris qu’il soit, et composé avec l’art de la syntaxe qu’on connaît à Holliger, ce Debussy dont l’harmonie perd plus que jamais ses repères tonals fascine. Moderne et mystérieuse à la fois, absolument « in-analytique » – l’opposée de celui de Pierre Boulez – cette manière de faire sonner l’orchestre debussyste atteint son acmé dans un Prélude où la flûte de Tatjana Ruhland n’est qu’une pamoison. Plus de faune, mais la sonorité même du songe.
Je referme le disque, non convaincu mais d’autant plus admiratif ; puis remet celui de Rafael Frühbeck de Burgos avec l’Orchestre Symphonique de Londres enregistré en 1988, qui vient d’être réédité par le label économique Alto. Album passé inaperçu en France, mais qui, en Angleterre, avait emporté quelques lauriers.
A nouveau le Prélude et tout change par la grâce d’une battue un rien plus preste. Le faune est là, sa plainte érotique aussi, mais, liant les sections, se glisse un geste chorégraphique qu’Holliger écartait. Cela respire et s’incarne.
Les Nocturnes sont mobiles, Sirènes et Nuages fluides, Fêtes avec des espaces alternant furia et nocturne. Mais c’est d’abord une interprétation évidente de La Mer qui signe le disque. Évidente par les tempi, les articulations, les couleurs, mais aussi par le mariage entre une lecture précise, finement mise en place, et un geste d’une sensualité dorée, qui donne à Jeux de vagues son caractère de scherzo, et fait du Dialogue du vent et de la mer une scène lyrique. Un beau disque Debussy bien à l’image de l’art de Rafael Frühbeck de Burgos, qu’il serait temps de réhabiliter.
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
Rhapsodie pour clarinette & pour saxophone, Prélude à l’après-midi d’un faune, Images pour orchestre (Gigues, Iberia, Rondes de printemps)
Dirk Altmann, clarinette
Daniel Gauthier, saxophone
Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR
Heinz Holliger, direction
Un album du label Hänssler Classic CD93315
Claude Debussy (1862-1918)
Nocturnes (Nuages, Fêtes, Sirènes), La Mer, Prélude à l’après-midi d’un faune
London Symphony Orch.
(Orch. Symphonique de Londres)
Rafael Frühbeck de Burgos, direction
Un album du label Alto ALC1277
Photo à la une : (c) DR