Bach abandonné, Bach retrouvé

J’espérais une découverte, mais je dois avouer une déconvenue. Jonathan Cohen, si lié aux Arts Florissants, enregistrait avec son ensemble Arcangelo pour Hyperion rien moins que la Messe en si de Bach. Obligation de surprendre, cela devait sonner et vous saisir. Eh bien non. Tempos tranquilles, ensemble instrumental gris trottoir et par temps de pluie, personne ne presse le pas par crainte de déraper, une pointe de maniérisme ici, une autre de démonstration là : on savait Bach réformé, on ne savait pas que sa messe « catholique » était en fait un naufrage.

Dans cet océan de vagues molles, un seul astre vient luire : Tim Mead. Son Qui Sedes doit se débrouiller d’un méchant hautbois, mais dès que le chanteur paraît les mots s’incarnent, la ligne se dessine, avec une pointe de narcissisme ici ou là qui sera abandonnée dans un Agnus Dei à nu ou le souvenir de Deller paraît malgré les césures de la phrase.

Dépité sinon par cet Agnus Dei, je ressortais de mes rayons une Messe en si qui m’avait arrêté lors de sa parution en 2013 et que la presse musicale spécialisée avait regardée de haut.

Prague, Studio Domovina du 6 au 10 janvier 2013, Collegium 1704 et son chef Vaclav Luks abandonnaient un temps leur cher Zelenka pour se frotter à la liturgie selon Bach. Kyrie eleison ample, mais sans affirmation péremptoire, modelé dans l’espace, empli de voyelles longues qui enrubannent la polyphonie. De la musique en mouvement comme de la statuaire pourrait l’être, un idéal sonore de ce que le baroque signifie pour moi : du Bernin en musique.

Le ton était donné d’emblée, et toute la liturgie allait couler de ce même geste, architecture vivante, mouvante, mais aussi un recueillement, une ferveur sereine, une ampleur du son en lumière où rien ne pèse mais qui pourtant ne renonce pas au corps. C’est au sens propre une Eucharistie, une réincarnation, et cette ampleur rayonnante de spiritualité, pardon pour toutes les autres formations baroques qui ont enregistré l’œuvre, me reconduisait à l’émotion et à l’émerveillement que seules les lectures également humbles, mesurées, mais d’une spiritualité ardente signées par Eugen Jochum m’avaient inspiré.

Secret de cet art, la fréquentation assidue des complexités polyphoniques de Jan Dismas Zelenka dont les grandes messes sont le pain quotidien de Collegium 1704. Atouts majeurs : des solistes splendides, chez les femmes comme chez les hommes où deux chanteurs enchantent (ce qui doit être leur vocation première) : Terry Wey fait de son Qui sedes ad dexteram patris un tableau vivant, et de son Agnus Dei un mystère initiatique.

Et côté basse, retenez bien ce nom : Tomas Kral. Rendez-vous plage 7 du CD 2 : Et in Spiritum Sanctum. Ce sens du bref et de l’éloquent n’est pas donné à tout le monde, ni cette justesse dans une page si périlleuse.

LE DISQUE DU JOUR

cover bach messe si cohen hyperionJohann Sebastian Bach (1685-1750)

Messe en si, BWV 232
Lydia Teuscher, Ida Falk Winland, sopranos ; Tim Mead, contre-ténor ; Samuel Boden, ténor ; Neal Davies, basse
Arcangelo
Jonathan Cohen, direction

Un album de 2 CD du label Hyperion CDA68051/2

cover bach messe si luks accent
Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Messe en si, BWV 232
Hana Blazikova, sopranos ; Sophie Harmsen, mezzo-soprano ; Terry Wey, contre-ténor ; Eric Stoklossa, ténor ; Marian Krejcik, baryton ; Tomas Kral, basse
Collegium 1704 & Collegium Vocale 1704
Vaclav Luks, direction

Un album de 2 CD du label Accent ACC24283

Photo à la une : (c) Martin Straka