6 septembre 2003, j’apprenais dans le train qui me menait à Lyon que, deux jours plus tôt, Susan Chilcott avait succombé à son cancer. Et tout de suite, je la revis, Ellen Orford compatissante et rayonnante, enlaçant l’enfant apprenti de Peter Grimes sur la scène de La Monnaie de Bruxelles et dans la mise en scène parfaite de Willy Decker : « Embroidery in Childhood ». Grande soirée où son soprano éclatant et tendre à la fois ne craignait pas de se mesurer au Peter gigantesque de William Cochran.
Pourquoi des chanteuses incarnant leurs personnages avec tant de feu disparaissent-elles si tôt ? Kathleen Ferrier, Lorraine Hunt sont d’autres noms dans cette effrayante litanie. Première rencontre pour moi, Fiordiligi en 1996. On rouvrait Garnier, et au bout de deux phrases, je n’avais d’yeux et d’oreilles que pour elle. Cette voix pleine et précise, qui dévorait les vocalises et portait les mots dans le feu de la ligne de chant, mais oui, c’était comme si Sena Jurinac elle-même revenait. Bastille verra sa Tatiana, fière, insolente, irrésistible dans la lettre, et même son Ellen Orford, un peu perdue dans tout ce vaste, de scène, de salle, d’orchestre et en 2002, déjà malade probablement. Elle devait revenir pour Rusalka, ce sera finalement Renée Fleming, le type absolument opposé de cantatrice.
Mais c’est à La Monnaie de Bruxelles que je l’ai suivie et aimée d’autant plus que le format de la salle la faisait proche, qu’elle vous envahissait littéralement avec ses personnages. Son Komponist ardent, un constant « An die Musik », ne s’est pas retrouvé à ce degré d’intensité et d’ingénuité, Strauss l’eut adoré. Sa Desdemona brisée mais fière toujours, se préparant à la mort telle une Iphigénie, avec dans le port de la voix et dans le geste – ce long bras de tragédienne, cette main de muse – un sens du drame intime partagé avec chacun, impossible de s’en déprendre. Philippe Boesmans fut chanceux de l’avoir en Hermione pour son somptueux Wintermärchen.
Mais lorsque je revois Susan Chilcott en imagination, c’est la Gouvernante du Turn of the Screw, c’est Ellen Orford de Peter Grimes qui s’imposent d’emblée. Des personnages complexes, confrontés à l’innommable, défaits par la mort d’enfants.
Heureusement, Cyprès a édité un album regroupant les témoignages sonores captés en scène à La Monnaie, viatique pour que la mémoire demeure empli de cet art incandescent. Que Camille de Rijck et Sylvain Fort en soient remerciés !
LE DISQUE DU JOUR
Susan Chilcott, soprano
William Cochran, ténor
Vladimir Galouzine, ténor
Dale Duesing, baryton
Chœur et Orchestre de La Monnaie de Bruxelles
Antonio Pappano, direction
Un album du label Cyprès CYP8601 (Collection « Archive «)
Photo à la une : (c) DR