La cloche de Sainte-Eufemia résonne encore lorsque Sviatoslav Richter débrouille les entrelacs de Brouillards d’un geste de sorcier. On croirait déjà les sortilèges d’Ondine. Feuilles mortes recueille comme un soupir, et s’approche du vide que vient briser net le rasgueado du guitariste flamenco de La Puerta del Vino. Vous l’avez reconnu, le revoici enfin ce Second Livre des Préludes de Debussy qui fut toujours massacré au temps du microsillon par les affreux pressages du label économique américain Turnabout.
Todd Landor en avait retrouvé les bandes originales, les avait restaurées, remis les œuvres dans l’ordre du concert, et édité le tout en 2010 dans un Compact Disc Vox/Musical Concept, qui ne fut jamais distribué en France.
Et pourtant ce Second Livre de Préludes, complet, que le pianiste redonnera par la suite à Leningrad, Moscou, puis chez Benjamin Britten à Aldeburgh, où d’ailleurs il reprit exactement le programme de Spoleto, reste à mes oreilles l’un des accomplissements absolus de Sviatoslav Richter.
La plénitude de la sonorité, dans le toucher frappeur – « General Lavine » – Eccentric anthologique – comme dans l’invention de sonorités fluides, immatérielles (toute l’introduction d’Ondine), suffirait à expliquer la stupeur des mélomanes découvrant le pianiste soviétique dans cette musique, dont il comprend toute la dimension allusive.
Chez lui, le fait que les titres soient indiqués à la fin de chaque prélude prend tout son sens, car Richter les conçoit en dehors de toute anecdote, vraie musique pure cherchant l’abstraction.
Ses Feux d’artifice rageurs, où des bombes éclatent à la place de pétards, pris dans un tempo de folie, signent une nouvelle manière d’approcher l’univers debussyste. En bis, La Sérénade interrompue, avec une jolie faute de doigt, indique que Richter voulait rester encore un peu chez Debussy.
Une Ballade Op. 23 de Chopin hiératique, lunaire, les deux premières Novelettes de Schumann enlevées prestement, la 37e Sonate de Haydn, comme improvisée, formaient la première partie du concert, magnifique. Mais c’est d’abord à ces Préludes que vous irez.
Pas certain que vous en reveniez indemnes !
(ndlr, signalons que BBC Legends avait édité il y a quelques années dans un double CD, l’une des autres versions – « exécution » également intégrale, en Angleterre – des Préludes du Livre II de Debussy par Richter en 1967, tout aussi enivrante, à connaître également – Concert à Maltings Snapes – 16 juin 1967 – BBCL 4021-2)
LE DISQUE DU JOUR
Richter in SPOLETO
14 juin 1967
Franz Joseph Haydn (1732-1809)
Sonate pour clavier No. 37 (22) en mi majeur, Hob. XVI:22
Robert Schumann (1810-1856)
Novelette No. 1 en fa majeur, Op. 21 No. 1
Novelette No. 2 en ré majeur, Op. 21 No. 2
Frédéric Chopin (1810-1849)
Ballade No. 3 en la bémol majeur, Op. 47
Claude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre II (version intégrale)
La Sérénade interrompue (extraite de : Préludes, Livre I)
Sviatoslav Richter, piano
Un album du label Vox/Musical Concept MC 108
Photo à la une : (c) DR