L’œuvre d’orgue de Bach fut l’occasion d’échanges de styles et de vues entre les organistes français tout au long de l’apogée du microsillon. Marie-Claire Alain y mit deux fois sa technique impeccable et son approche anguleuse au service d’une certaine idée intemporelle de Bach qui pourtant n’a jamais cessé de sonner très XXe siècle. Michel Chapuis semblait lui répondre d’un autre monde : il était revenu au siècle de Bach, instruments et syntaxe compris.
D’où vient que je leur ai toujours préféré la somme patiemment assemblée par André Isoir ? Cet orgue alerte, au clavier léger, véloce, qui n’a pas besoin de lenteur pour être spirituel, ou de recueillement pour atteindre à la sérénité, montre tout au long des divers visages de ce corpus un naturel désarmant, une fluidité dans la simplicité.
On tient à la fois le clavier du virtuose et l’instrument orphique, Bach à la tribune et Bach dans ses grimoires. Isoir joue plus en claviériste qu’en organiste, il lui faut des instruments modernes, qui répondent, ne sont pas prisonnier de leurs mécaniques vétustes, mais lorsqu’il empoigne le seul orgue historique à paraître ici – le Gabler de Weingarten – il le transforme en une seconde, et le fait sonner pour, entre autres, une des plus resplendissante Passacaille qu’on connaisse.
Cette manière alerte, ces phrasés élancés, ce goût des dynamiques intenses mais aussi du son serein lorsqu’il faut seulement chanter, sont décidément d’un artiste. La comparaison le surprendra peut-être, mais j’alterne souvent ses gravures avec celles de la première intégrale d’Helmut Walcha. J’y trouve la même lumineuse évidence.
Les micros de Georges Kisselhoff veillaient au grain, captant les instruments dans tous leurs déploiements comme dans leurs registres les plus secrets, le son produit, comme ce qui le meut. Et je retrouve dans le nouveau remastering proposé ici par La Dolce Volta la beauté rayonnante de ces prises de son que la précédente édition digitale avait durcies. Les couleurs, et l’espace entre les couleurs.
Avant ce Grand Œuvre, Isoir en avait produit un autre qui avait fait sa réputation auprès des discophiles : Le Livre d’Or de l’Orgue Français. Seul Michel Chapuis l’avait ici précédé. Isoir le suivit sur la piste des instruments anciens, Poitiers, Sarre-Union, Fontainebleau, Houdan, Saint-Maximin la Sainte-Baume, non plus l’orgue, mais les orgues avec leurs tempéraments si surprenants, leurs couleurs drues, leurs sonorités rêches, leurs univers allant des Messes de François Couperin au Duo en cor de chasse de Dandrieu, tout un continent qui exalte chez Isoir le virtuose, excite l’inventeur (le Branle de Basque de Louis Couperin), montre à coté du Sacré des univers de pure fantaisie.
Réédition là encore parfaite. Aller d’un coffret à l’autre n’est pas si incongru qu’on pourrait le croire : la musique française influença Bach plus qu’on ne le concède habituellement.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
L’œuvre d’orgue
(Intégrale)
André Isoir, orgue
Un coffret de 15 CD
du label La Dolce Volta
LDV153-7
Le Livre d’Or de l’Orgue français
Œuvres de Louis & François Couperin, Julien, d’Anglebert, Titelouze, Grigny, Lebègue, Guilain, Marchand, Clérambault, Corrette, du Mage, Dandrieu
André Isoir, orgue
Un coffret de 6 CD du label La Dolce Volta LDV 147-2
Photo à la une : (c) DR