Pietro de Maria s’est voué à Chopin depuis dix années. Cette traversée du miroir lui aura appris que l’auteur des Nocturnes voyait son piano de Bach et de personne d’autre. Le Clavier bien tempéré ne quittait pas le pupitre de Chopin, et la science polyphonique de sa musique, trop souvent sacrifiée à la prééminence de son génie mélodique, est un constant hommage à Bach.
Logiquement, Pietro de Maria s’engage donc dans le Premier Livre du Clavier bien tempéré. Approche hors du temps, même si, dans les phrasés des Fugues, on entend une réflexion nourrie aux interprétations historiquement informées. Les Préludes, eux, sont libres, en caractères contrastés, de l’humeur, de la poésie, de l’étrange parfois, mais toujours un clavier fluide qui resitue la polyphonie dans le corps de l’harmonie.
Devant cette lecture dégagée de bien des contraintes, j’ai souvent pensé au peu que Kempff nous a laissé du Clavier, y entendant la même lumière, et surtout le même piano débarrassé de tout marteau. C’est un peu comme si l’orgue s’invitait, avec ses couleurs incroyable et ses jeux sur le souffle.
Cet anti-Gulda pourra déconcerter, car il n’expose rien en majesté, mais procède de l’intime, vise la poésie, montre une familiarité avec le labyrinthe qui l’ordonne soudain en un jardin à l’anglaise, avec arbres tricentenaires et perspectives naturelles. Une fois entré, je ne veux plus en sortir, conquis par la douceur et la profondeur. Venez vous aussi vous fondre dans le paysage.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Le Clavier bien tempéré
Livre I, Préludes & Fugues,
BWV 846-869
Pietro de Maria, piano
Un coffret-album de 2 CD du label Decca 4811304
Photo à la une : (c) DR