D’un Schubert l’autre

Après une intégrale des Sonates de Beethoven fêtée aux États-Unis, Garrick Ohlsson s’engage chez Schubert. La petite la majeur qui ouvre le disque rappelle à quel point il sait former le son – rond lumineux – et ponctuer la phrase aux deux mains. Les courbes se dessinent, l’harmonie prend de l’ampleur, le piano parle. Avec cela une indifférence au charme qui va même dans la plus heureuse des Sonates de Schubert chercher la suspension et l’ombre, voir l’orage. Le crescendo de l’Allegro moderato emplit soudain l’espace avec un tel ton de menace !

La Wanderer-Fantaisie est de grande venue, tempétueuse, ardente, et jouée en grand son. Ses contrastes et ses accents donnent le vertige, mais derrière les humeurs, la construction est parfaite, implacable, et l’attention aux rythmes ne se relâche jamais. C’est pourtant la mystérieuse Sonate D. 845 qui sera le clou de l’album, car Ohlsson y invite l’ombre de Beethoven, lançant les accords péremptoires du premier thème avec une rage ardente. Ce n’est plus une sonate c’est une symphonie ! Prise de son splendide, Steinway réglé avec art, décidément chez Dux on sait enregistrer le piano.

Et voici qu’après un disque si éloquent, je place dans la platine l’album Schubert que vient de signer David Fray. Il ne choisit pas la facilité en commençant ici par l’insaisissable Sonate « Fantasie » (sol majeur, D. 894). Et il entre tranquillement, énonçant le thème avec discrétion et profondeur.

Sa sonorité ombreuse, avec juste ce qu’il faut de lumière dans le médium, est simplement merveilleuse, un rien réflexive mais pourtant sans narcissisme, et la recherche du piu pianissimo dès la première modulation donne la couleur d’une lecture désolée, esseulée parfois, qui va très loin dans l’œuvre. Merveille de lyrisme, jouée en subtilité. David Fray se serait-il enfin trouvé au miroir de Schubert ? Oui, car toute la Sonate montre une imagination des timbres – cet aigu irrésistiblement rêvé, ces graves aux harmoniques profondes toujours éloquents – et une manière de prendre l’œuvre comme on prendrait un chemin de traverse. Un voyage en Schubertie.

Murmurée et en doigts légers, la Mélodie hongroise confirme ces affinités électives, comme le Lebensstürme et la Fantaisie en fa mineur où le rejoint Jacques Rouvier. Son professeur ? Non, plutôt le compagnon idéal pour cette traversée du miroir. Album magique, qui dévoile enfin l’artiste.

LE DISQUE DU JOUR

cover schubert ohlsson dux
Franz Schubert
(1797-1828)
Sonate No.13 en la maj, D.664,
Sonate No.16 en la min, D.845,
Fantaisie en ut majeur, D. 760 « Wanderer »

Garrick Ohlsson, piano
Un album du label Dux 0930

cover schubert fray erato
Franz Schubert
(1797-1828)
Sonate pour piano No. 18
en sol majeur, D. 894

Mélodie hongroise
en si mineur, D. 817

Fantaisie pour piano à 4 mains en fa mineur, D. 940
Allegro en la mineur, D. 947 “Lebensstürme”

David Fray, piano
Jacques Rouvier, piano
Un album du label Erato 0825646166992

Photo à la une : Le pianiste David Fray – (c) Yannick Perrin