A la conquête d’un autre archet

Henri Vieuxtemps passa pour la résurrection de Paganini, c’est du moins ainsi que Robert Schumann le considérait le plus sérieusement du monde. Le violoniste virtuose écrivit pour lui-même sept concertos qui peu à peu quittèrent le brio pour la poésie, et où l’orchestre se dévoile personnage à part entière.

En 1873, le destin, non sans ironie, fit en quelque sorte bien les choses : une attaque le diminua physiquement, mais ne parvint pas à éteindre la flamme de la création. Délesté de l’encombrante carrière de virtuose, contraint à une existence sédentaire, le papier à musique allait devenir sa seule raison d’être, et puisqu’il ne jouait plus son violon, il consacre sa plume successivement à deux opus concertants pour le violoncelle, et Jean Servais l’épaulera dans l’écriture de la partie solistique du Second après avoir fait la fortune du Premier.

Je n’ai jamais compris la relative désaffection dans laquelle les violoncellistes tenaient ces deux opus. Les concertos romantiques pour leur instrument ne sont pourtant pas légion. Heureusement, hier Marie Hallynck les gravait tout deux. C’est aujourd’hui Alban Gerhardt qui les revisite d’un archet plus leste, et donne au second un rayonnement assez schumannien.

L’orchestre n’est pas en reste, diseur, élégant et précis, plus enflammé que celui de Theodor Guschlbauer pour Hallynck. Et bonus d’importance, les nouveaux venus ajoutent deux très belles pages concertantes signées Eugène Ysaye – la sombre Méditation avec ses teintes de cauchemar, la Sérénade au ton de pavane rappellent que cet autre violoniste virtuose accorda le plus secret de son art au violoncelle. Vieuxtemps l’avait précédé, jolie idée de les mettre en miroir.

LE DISQUE DU JOUR

cover vieuxtemps gerhardt hyperion
Henri Vieuxtemps (1820-1881)
Concerto pour violoncelle
No. 1 en la mineur, Op. 46

Concerto pour violoncelle
No. 2 en si mineur, Op. 50

Eugène Ysaÿe (1858-1931)
Méditation en si mineur, Op. 16 « Poème » ; Sérénade en la majeur, Op. 22

Alban Gerhardt, violoncelle
Royal Flemish Orchestra
Josep Caballé-Domenech, direction

Un album du label Hyperion CDA67790

Photo à la une : Alfred Jaell au piano, avec Henri Vieuxtemps (violon), Carlotta Patti (cantatrice) et un violoncelliste (Alfred Piatti?) – (c) A. Pelm, 1870 ?