L’objet Bach

Ah, voilà pourquoi je préfère Bach au piano : l’énoncé du thème fraternellement heureux qui ouvre la 4e Partita, avec dans ses suspensions une pointe de mystère avant de dérouler ses guirlandes, doit être subtilement modelé. Chez Bach, la polyphonie est une affaire d’accent, de poids, de répartition, le clavecin peut évoquer cela, le piano le réalise, et Rémi Geniet excelle à faire une note floutée et la suivante précise. Son clavier est une focale, il l’agrandit ou le rétrécit à volonté, donnant à la syntaxe de Bach ses dimensions plurielles.

Même si chez les russes d’hier, Nikolayeva, Richter, Gilels, Bunine, le métal et les timbres étaient plus résonnants, le piano de Rémi Geniet est bien de cette école, et pas du tout de celle du Bach des petits doigts crochus, il assume l’héritage de son professeur, Evgueni Koroliov, mais y ajoute des nuances, une fluidité, une sympathie au discours qui font que sans cesse je remets son disque sur la platine.

Cette école du sensible a ses limites dans sa perfection même. Pas les prospectives intellectuelles si excitantes d’un Gould ou d’un Anderszewski, pas non plus les plénitudes sonores enivrantes de Tatiana Nikolayeva qui fondait de l’or dans les polyphonies, mais un ton très serein, des poignets souples, des doigts allant dans la profondeur du clavier sans l’étouffer, un art de « toucher » qui rappelle jusque dans une certaine nostalgie sereine le ton, la manière de Marcelle Meyer. Je n’en jette plus, écoutez plutôt le Caprice BWV 992, et vous comprendrez que Bach vient de gagner un pianiste.

LE DISQUE DU JOUR

cover remi geniet mirare bach
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Partita No. 4 en ré majeur, BWV 828 ; Suite anglaise No. 1 en la majeur, BWV 806 ; Toccata en ut mineur, BWV 911 ; Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo, BWV 992

Rémi Geniet, piano

Un album du label Mirare MI268

Photo à la une : (c) DR