Italie XX

Disparu dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année, Goffredo Petrassi passa en revue tous les styles et tous les procédés d’écriture du XXe siècle musical, du néo-baroque drastiquement démarqué de celui de Stravinski dans les années trente – dont la Partita pour orchestre est l’illustration impeccable – au sérialisme.

Mais dans le grand concert de l’Italie moderne, il ne trouva jamais vraiment sa place entre le langage à la fois aventureux et nostalgique de Malipiero, les œuvres radicales de Luigi Dallapiccola, né comme Petrassi en 1904, et celle de la jeune génération emmenée par Bruno Maderna et Luciano Berio. Avec cela un rapport au sacré qui limita la portée de sa musique dans une Italie dont les structures culturelles étaient aux mains des municipalités communistes, même si dès les années cinquante sa grammaire assimila les propositions de ses cadets.

Cœur d’une œuvre qui en fait n’a jamais renoncé aux sortilèges de la tonalité élargie, les partitions de l’entre deux guerres auquel Gianandrea Noseda consacre le second volume dédié à Petrassi au sein de son anthologie de la musique italienne du XXe siècle. La Partita (1932) convoque un vaste orchestre déduit de celui de Respighi – ses alliages de timbres internes où le piano est une couleur supplémentaire un peu comme chez Martinu, son chromatisme saturé – et y ajoute un saxophone qui donne au discours un éclairage moderniste. Œuvre formidablement conçue et écrite, dont Noseda trouve l’étrange ton de poésie nocturne.

Le Coro di Morti (1941) reste la partition la plus repérée de leur auteur – à l’exemple des Canti di prigionia pour Luigi Dallapiccola – et s’inscrit dans une tradition madrigalesque drastiquement revisitée, porté par l’énigmatique poésie de Leopardi. Petrassi la sous-titre : « Madrigal dramatique pour voix d’hommes, trois pianos, cuivres, contrebasses et percussions ». Noseda lui donne une force orante, creusant l’espace de cette formation tout en noirs profonds, chefs-d’œuvre qui trouve enfin ici une lecture à la hauteur de son propos, tout comme la bien moins courue Noche oscura (1951) où la passion mystique du texte de Saint-Jean de la Croix évolue dans une envoûtante nuit de sons. Fascinant. Disque d’une sombre splendeur qui offre également les Quattro Inni Sacri dans leurs versions orchestrées, et c’est soudain le visage diurne, solaire, de l’œuvre de Petrassi qui paraît.

cover dorati dallapiccola deccaHasard des publications discographiques, Decca Eloquence offre la première édition en CD d’un album mythique, un des sommets de la discographie surabondante d’Antal Dorati, son enregistrement d’Il Prigioniero, l’opéra que Luigi Dallapiccola tira de La Torture par l’espoir de Villiers de l’Isle-Adam, récit d’un supplice psychologique au temps de l’Inquisition.

C’est en compositeur qu’Antal Dorati dirige l’œuvre, donnant à l’orchestre de Dallapiccola des teintes déviées des opéras de Berg : le creusement du discours donne plus d’une fois le vertige, la distribution sans stars du chant n’a pas été égalée, que ce soit pour le prisonnier suant littéralement la terreur de Maurizio Mazzieri, ou pour le Geôlier et le Grand Inquisiteur incarnés avec une tranquille cruauté par Romano Emili. Disque essentiel, fondateur de toute discothèque du XXe siècle.

LE DISQUE DU JOUR

cover petrassi 2 noseda chandos
Goffredo Petrassi (1904-2003)
Coro di morti (1940-41)
Noche oscura (1950-51)
Quatrro inni sacri (1942, orchestration 1950)
Partita (1932)

Girogio Berrugi, ténor
Vasily Ladyuk, baryton
Coro Teatro Regio Torino
Orchestra Teatro Regio Torino
Gianandrea Noseda, direction
Un album du label CHAN10840

cover decca prigioniero eloquenceLuigi Dallapiccola (1904-1975)
Il Prigioniero

Maurizio Mazzieri, basse
Romano Emili, ténor
Giulia Barrera, soprano
Gabor Carelli, ténor
Ray Harrell, basse
The University of Maryland Chorus
National Symphony Orchestra Washington
Antal Dorati, direction
Un album du label Decca Eloquence 4808781

Photo à la une : Le compositeur italien Luigi Dallapiccola – Photo : (c) DR