Ce fut une réalité du violon romantique : son style, son imaginaire, son propos doivent bien plus qu’on ne le croit aujourd’hui à l’instrument tel que le jouaient les Tziganes. La liberté du chant du Concerto de Mendelssohn, le ton rhapsodique du Concerto Op. 26 de Bruch portent, distantes mais réelles, les empreintes de cet esprit populaire que la grammaire classique domptera.
En Roumanie, avant qu’Enesco ne vienne y proclamer Bach de son archet, le violon n’était que tzigane même lorsqu’il quittait la rue ou les cabarets pour entrer au concert : Grigoras Dinicu fut l’emblème de cet art presque perdu aujourd’hui.
C’est dans une famille tzigane que Ion Voicu vit le jour le 8 octobre 1923. A seize ans, il fait ses débuts publics avec le Premier Concerto de Paganini. Mais la carrière attendra pourtant l’après-guerre, lorsque Voicu remporte le concours fondé par Enesco et Yehudi Menuhin à Bucarest. Immédiatement, le jeune homme devient la coqueluche des mélomanes roumains avec son violon rhapsode et son archet pourtant apollinien, un mélange inédit qui enchantait George Georgescu, le grand chef historique de la Philharmonie de Bucarest.
La beauté du timbre de cette voix à quatre cordes, la douceur de son archet, cette pointe de nostalgie dont elle ne se dépare jamais signent l’art d’un violoniste souvent enregistré par le label national roumain Electrecord. Malédiction, les disques restèrent derrière le rideau de fer, mais heureusement, Decca entre 1967 et 1972 demanda trois albums à Ion Voicu.
Un premier disque en 1967 accentua son rayonnement à l’Ouest. Programme grand public avec le Concerto de Mendelssohn – très libre et chantant – et le Premier Concerto de Bruch que Rafael Frühbeck de Burgos accompagne avec panache.
Suivra un album plus aventureux où Monique Haas l’accompagne dans les Deuxièmes Sonates de Prokofiev et de Milhaud et surtout dans celle de Debussy – miracle de fantaisie funambule assez irrésistible.
Enfin, en avril 1972, un deuxième volume de sonates du XXe siècle, seul avec son violon pour la 5e Sonate d’Ysaye, et avec Victoria Stefanescu pour une Sonate de Ravel au lyrisme discret, au blues désinvolte, et une très lyrique Seconde Sonate d’Enesco. Albums rares, enfin regroupés et édités avec soin par l’infatigable Cyrus Meher-Homji, tous inédits au CD !
LE DISQUE DU JOUR
Ion Voicu
The Decca Records
Max Bruch (1838-1920)
Concerto pour violon No. 1 en sol mineur, Op. 26
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Concerto pour violon No. 2 en mi mineur, Op. 64
Claude Debussy (1862-1918)
Sonate pour violon et piano
Georges Enesco (1881-1955)
Sonate pour violon et piano No. 2 en fa mineur, Op. 6
Darius Milhaud (1892-1974)
Sonate pour violon et piano No. 2, Op. 40
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour violon et piano No. 2 en ré majeur, Op. 94a
Maurice Ravel (1875-1937)
Sonate pour violon et piano
Eugène Ysaÿe (1858-1931)
Sonate pour violon seul en sol majeur, Op. 27 No. 5
Ion Voicu, violon
Monique Haas, piano (Debussy, Prokofiev, Milhaud)
Victoria Stefanescu, piano (Enesco, Ravel)
London Symphony Orchestra (Orchestre Symphonique de Londres)
Rafael Frühbeck de Burgos, direction
Un album du label Decca 4807841 (Collection « Eloquence Australie »)
Photo à la une : (c) DR