Longtemps je vécus avec pour seule version des Caprices de Paganini l’enregistrement mythique de Michael Rabin, jusqu’au jour où, piqué par la curiosité, j’achetais un double microsillon du label Ades : Devy Erlih venait de graver les Caprices ! Il les inondait de musique, les débarrassait de leur caractère spectaculaire. Je retrouvais cet archet si diseur, si souple, qui m’avait poussé a thésauriser tous les microsillons que je pouvais dégotter, Sonate de Ropartz, Concerto de Khatchaturian (avec Baudo et l’Orchestres des Cento Soli), Symphonie espagnole de Lalo, Concertos de Mendelssohn, de Tchaikovski et ma version favorite du Trio de Ravel où le rejoignaient Claude Helffer et Roger Albin.
Longtemps j’ai songé à le rencontrer, cela aurait été aisé, il avait sa classe au CNSM de Paris. Mais non, une timidité imbécile m’a retenue. Je ne perdais rien pour attendre : François Hudry l’invitât lors d’une de nos Tribunes des critiques de disques de France Musique, et je découvrais l’homme, aussi solaire, aussi généreux que son violon.
Sa disparition le 7 janvier 2012 dans des circonstances tragiques, me laissa sans voix. Si son éditeur historique, EMI, qui avait hérité du fonds Ducretet-Thomson, ne lui consentit même pas l’hommage d’une réédition, l’INA se souvint de cet artiste si présent au sein des programmes musicaux de Radio France en lui consacrant un double album, collection de trésors où rayonnait particulièrement une Sonate de Debussy inouïe avec au piano Jacques Février.
Meloclassic ajoute à cette discographie si ténue un récital donné Salle Gaveau le 14 décembre 1952 – il avait vingt-quatre ans ! – où celui qui demeurera longtemps son partenaire de musique de chambre favori, Maurice Bureau, l’accompagne avec une attention de tous les instants. C’est qu’il faut suivre le jeune homme lorsqu’il se lance dans la coda du Zigeunerweisen de Sarasate ! Si le musicien était fabuleux, le technicien était transcendant et serait bientôt couronné par les lauriers du Long-Thibaud.
J’admire sans réserve la vitalité de sa Première Sonate de Bach, l’élégance arcadienne de la Pastorale de Tartini où le chant se gorge d’harmoniques – ce violon savait être si plein, si rayonnant ! – et la 7e Sonate de Beethoven, toute en humeurs, avec dans le discours une concentration rarement entendue. La Danse de La Vie brève, le Zigeunerweisen, bis éclatants et irrépressibles ne parviennent pas à me faire oublier la poésie étrange dont Devy Erlih revêt la Sonate de Ravel, lecture sensualiste où l’archet semble infini, capricieux et à la fois tendre. Toutes les ambigüités de Ravel dans un violon. Je veux d’autres concerts !!
LE DISQUE DU JOUR
Giuseppe Tartini (1692-1770)
Pastorale
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Sonate pour violon seul No. 1 en sol mineur, BWV 1001
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violon et piano No. 7 en ut mineur, Op.30 No. 2
Maurice Ravel (1875-1937)
Sonate pour violon et piano
Pablo de Sarasate (1844-1908)
Zigeurnerweisen
Manuel de Falla (1844-1908)
La vida breve – Danse No. 1
Devy Erlih, violon
Maurice Bureau, piano
Un album du label Meloclassic MC2024
Photo à la une : (c) DR