Je sais que les Quatuors de Smetana sont ses opus absolus, loin devant Ma Vlast ou La Fiancée vendue, mais voilà, il faut parfois un disque pour confirmer une certitude.
Le choc que j’ai ressenti lors des premières mesures du Quatuor « De ma vie » m’a soudain replongé l’année de mes quatorze ans lorsque je découvrai le sombre récitatif dramatique qui ouvre cette partition inépuisable où Janáček a trouvé le sens de ses propres quatuors. J’alternais les deux seules versions que je connaissais alors, celle du Quatuor Janáček et celle du Quatuor Smetana. S’y sont ajoutés ensuite les deux disques du Quatuor Talich puis l’enregistrement astringent et assez bluffant du Quatuor Lindsay.
Mais aujourd’hui, je suis certain que ces deux opus ont trouvé leurs interprètes. Le Quatuor Pavel Haas n’en est pas à son coup d’essai, il regarde les deux opus de Smetana d’en aval, du point de vue décisif que leur offrent les quatuors de Janáček dont ils ont laissé une version âpre. Relu ainsi, le lyrisme tourmenté du Premier Quatuor prend un ton radical, sonne définitivement comme de la musique moderne.
Et le Second, qui ne se reconnaît comme modèle que les derniers Quatuors de Beethoven devient sous leurs archets mordants une œuvre quasi expérimentale : écoutez le brasier ardent qui ouvre l’Allegro non più moderato, puis la fugue hagarde qui suit.
Smetana était alors poursuivi par la folie, l’internement en hôpital psychiatrique lui sera fatal. C’est ce désespoir, cet égarement ultime d’un compositeur reclus dans sa surdité depuis plusieurs années déjà que le Quatuor Pavel Haas expose crument. Version radicale et probablement définitive pour cette paire de chefs-d’œuvre terrifiants.
LE DISQUE DU JOUR
Bedrich Smetana (1824-1884)
Quatuor à cordes No. 1 en mi mineur, JB1:105 (T.116)
Quatuor à cordes No. 2 en ré mineur, JB1:124
Quatuor Pavel Haas, piano
Un album du label Supraphon SU4172-2
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