Un coffret, discrètement édité par Disky Classics en 2002 reprenait les enregistrements EMI de Seiji Ozawa : sept disques. Voici que Warner publie une somme de vingt-cinq galettes ! Deux explications : chaque disque reproduit un microsillon – assorti de sa pochette originale – et l’éditeur a ajouté les gravures consenties à Erato – en fait la collaboration avec Mstislav Rostropovitch, une Pathétique à Boston, l’album Dutilleux – mais aussi les disques de concertos avec Itzhak Perlman, Vladimir Spivakov, Anne-Sophie Mutter, Michel Béroff, Alexis Weissenberg, et à nouveau Mstislav Rostropovitch pour le Triptyque de Renaud Gagneux et Sotto Voce de Rodion Chédrine.
Et deux albums qui n’avaient que sporadiquement franchi les frontières européennes grâce aux circuits de l’importation : la confrontation du Cassiopeia de Takemitsu avec Sögü II de Maki Ishii où l’Orchestre Philharmonique du Japon s’augmente d’un ensemble de Gagaku. Autre gravure oubliée, et qui nous rend la plus belle violoniste qu’ait enfanté le Japon, Masuko Ushioda, celle du Premier Concerto de Bruch et du Concerto de Sibelius : phrasés longs, registres contrastés, attaques pleines de caractère, le Sibelius en particulier est à marquer d’une pierre blanche et nous fait regretter que son Deuxième Concerto de Bartók n’ait jamais été publié en Occident. Disparue le 28 mai 2013, cette élève de Mikhail Vaiman au Conservatoire de Leningrad, Prix Reine Élisabeth en 1963, connut un début de carrière fulgurant avant de s’installer à Boston pour se consacrer à l’enseignement : ses élèves du Conservatoire de la Nouvelle Angleterre lui vouent un culte justifié.
Si les gravures Erato sont justement célébrées – je place au sommet l’album Dutilleux, où la collaboration entre le chef et le compositeur a produit une version définitive de The Shadows of Time – le legs EMI est resté dans une ombre relative : au début des années soixante-dix, Ozawa signa un contrat avec la Deutsche Grammophon, sa nomination à la tête de l’Orchestre Symphonique de Boston allait produire une discographie impressionnante qui assoira définitivement sa réputation internationale.
Retrouver la vingtaine d’albums engrangés pour EMI entre les États-Unis et la France, enfin réédités dans des remasterings restituant la splendeur des prises de son originales, ce qui n’était que partiellement le cas dans le coffret Disky, et assorti d’un texte brillant de la plume de Rémy Louis, est un bonheur sans mélange et réserve quelques surprises.
Je n’en finis pas de comparer les deux versions du ballet intégral de L’Oiseau de feu : l’enregistrement princeps (avril 1972) avec l’Orchestre de Paris, rayonnant de couleurs, flamboyant, d’un imaginaire sonore débridé, et la seconde proposition, enregistrée onze plus tard avec l’Orchestre Symphonique de Boston – une narration d’une précision expressive, d’un luxe de détail, d’un raffinement de teintes et d’une diversité de jeu d’orchestre tout à fait hors du commun. Les trois disques avec l’Orchestre Symphonique de Chicago sont restés légendaires, avec au sommet une Schéhérazade de Rimski-Korsakov où les cadres des tableaux éclatent – seul Kondrachine avec le Concertgebouw avait fait aussi fort, et une version sans coupure du Concerto pour orchestre de Lutoslawski qui expose une science de la balance orchestrale apprise auprès d’Herbert von Karajan. Autre sommet le Concerto pour orchestre de Bartok, aux atmosphères étranges, Giucco delle coppie raréfié, Finale vertigineux, à la limite de l’angoisse panique.
Mais en somme tout ici est précieux – l’anthologie Bizet avec l’Orchestre National de France rappelle les liens privilégiés qu’Ozawa tissa très tôt dans sa carrière avec cette formation, les disques de concertos le montre dans une écoute absolue du soliste et capable d’une variété de style étonnante : baguette sèche et métrique pour les Stravinski de Michel Béroff, incandescente pour le 3e de Prokofiev avec Alexis Weissenberg (un de ses grands disques), narrative et pleine d’arrières plans dans la Symphonie espagnole d’Anne-Sophie Mutter, ou les Concertos d’Henryk Wieniawski selon Itzhak Perlman.
Et voilà que Pentatone publie dans des remasterings tout aussi éclairants deux albums Berlioz captés par Deutsche Grammophon en 1973. Si La Damnation de Faust avec son trio détonnant – Stuart Burrows, Edith Mathis, Donald McIntyre – est demeurée célèbre (la critique d’alors nota qu’Ozawa reprenait à Tanglewood le « flambeau Berlioz » là où Charles Munch l’avait laissé) et conserve cette tension dramatique dont la poésie n’est jamais exclue, la Symphonie fantastique enregistrée huit mois plus tôt était passée un rien inaperçue. Injustice ! Le raffinement orchestral, l’imagination sonore illustrent tout l’art de Berlioz en le débarrassant de ses excès.
Deux souhaits. Avant le 1er septembre prochain, qui verra Ozawa fêter ses quatre-vingt ans, que Pentatone nous rende le troisième volume du triptyque Berlioz – Roméo et Juliette – et que Sony regroupe dans un des coffrets dont elle a le secret l’intégrale des gravures RCA.
LE DISQUE DU JOUR
Seiji Ozawa
The Complete Warner Recordings
Oeuvres de Barber, Bartók, Bizet, Borodine, Bruch, Chédrine, Chostakovitch, Dutilleux, Dvorak, Foss, Gagneux, Gershwin, Ishii, Janacek, Kim, Kodály, Lalo, Lutosławski, Prokofiev, Ravel, Rimski-Korsakov, Saint-Saëns, Sarasate, Sibelius, Starer, Stravinski, Takemitsu, Tchaïkovski, Wienawski
Boston Symphony Orchestra
Chicago Symphony Orchestra
Orchestre National de France
Japan Philharmonic National Orchestra
Seiji Ozawa, direction
Un coffret de 25 CD du label Warner Classics 0825646139514
Hector Berlioz (1803-1869)
Symphonie fantastique (Épisodes de la Vie d’un Artiste, Partie I), Op. 14a
Boston Symphony Orchestra (Orchestre Symphonique de Boston)
Seiji Ozawa, direction
Un album du label Pentatone PTC5186211
Hector Berlioz
La Damnation de Faust
Stuart Burrows, ténor
Edith Mathis, soprano
Donald McIntyre, baryton-basse
Thomas Paul, basse
Judith Dickison (solo, “Dans le ciel”)
Chœur du Festival de Tanglewood
Boston Symphony Orchestra Orchestre Symphonique de Boston
Seiji Ozawa, direction
Un album de 2 CD du label Pentatone PTC 5186212
Photo à la une : (c) DR