Un plein disque de musique de piano d’Albert Roussel – label Véga ou Pleïade, je ne sais plus trop – avait bercé mon enfance. Lélia Gousseau en était l’interprète, juste un nom, pas même une photographie pour mettre un visage sur ce clavier plein de timbres et de caractère, mais si stylé et que je ne pouvais m’empêcher, tout gamin que j’étais encore, de le rapprocher de celui de Marcelle Meyer.
Ce nom me poursuivit longtemps et faisant mes premières razzias dans la caverne d’Ali Baba de l’INA, je n’eus de cesse de fouiller le tiroir des fiches-concerts à la lettre G. J’y trouvais des récitals éblouissants, avec un répertoire bien plus vaste que je ne l’aurais attendu – Brahms, Schumann y figuraient en bonne place – au sein duquel brillait un vaste ensemble de sonates où elle accompagnait – le mot n’est pas vraiment heureux pour décrire une telle fusion – l’archet humble et lumineux de Jeanne Gautier.
Puis plus rien, les Roussel ne reparurent pas, les concerts continuèrent à prendre la poussière de l’INA, j’oubliais presque cette pianiste qui avait été à l’égal de Monique Haas aimé de son professeur Lazare Lévy … jusqu’à ce que la poste m’amène ce disque improbable où, drapée dans son impeccable robe à l’antique, je peux enfin voir Lélia Gousseau et surtout entendre à nouveau son piano et dans quel répertoire !
Son Premier Concerto de Liszt volcanique, très rapsode par les élans, très classique par une certaine pureté du jeu, sera pour beaucoup une sacré découverte d’autant que l’accompagnement plein de caractère qu’y verse Pierre Dervaux est parfaitement accordé au propos de la pianiste. Première surprise qui en réserve une seconde de taille : avec sa technique trempé, et son art des timbres, Lélia Gousseau ne fait qu’une bouchée du Premier Concerto de Brahms, tour à tour impérieuse ou poète, artiste jusqu’au bout d’un Finale de grand panache. Dommage, Manuel Rosenthal la dirige sec et inconstant, ce qui d’ailleurs ne lui ressemble guère.
Evidemment, cet art si rare et si soudainement documenté me transporte, d’autant que je ne me souvenais plus de la récitaliste que de la soliste. Mais voilà, en bis l’éditeur ajoute Thème et variations de Gabriel Fauré : cette main gauche ardente, ce chant rocailleux, ce clavier d’horizons chimériques pas si loin de ceux de Vlado Perlemuter, d’Albert Ferber ou d’Yvonne Lefèbure, malgré un instrument qui ne tient pas l’accord, disent tout de cet art unique, bien plus que les concertos. Meloclassic nous doit une suite.
LE DISQUE DU JOUR
Franz Liszt (1811-1886)
Concerto pour piano No. 1 en mi bémol majeur, S. 124
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour piano No. 1 en ré mineur, Op. 15
Gabriel Fauré (1845-1924)
Thème et Variations en ut dièse mineur, Op. 73
Lélia Gousseau, piano
Orchestre National de la R.T.F
Pierre Dervaux (Liszt), Manuel Rosenthal (Brahms), direction
Enregistrements réalisés entre 1953 et 1959
Un album du label Meloclassic MC1028
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Photo à la une : (c) DR