Le son rayonnant, formé, tendre et pourtant précis de cette Fantaisie en ut mineur de Mozart me poursuivait depuis que je l’avais entendue un jour à la Radio sans savoir qui jouait. Lili Kraus ? Wilhelm Kempff ? Non : Rudolf Firkušný que j’associais plus volontiers avec le piano de Leoš Janáček ou les Tableaux d’une exposition de Moussorgski qu’avec les romantiques viennois.
J’avais grand tort comme allait me le démontrer Dominique Jameux qui consacrait au pianiste tchèque une série fleuve sur France Musique, l’occasion de diffuser l’essentiel des archives de la Radio de Baden-Baden qui avait enregistré l’étroite collaboration liant Rudolf Firkušný à Ernest Bour : cœur du trésor, dix concertos de Mozart à tomber.
Mais je n’en avais pas fini avec ce prince du son. A New York je me ruinais en achetant tous ses microsillons Capitol, de Beethoven à Debussy, et je tombais sous le charme ses Davidsbündlertänze, les plus belles selon moi avec l’enregistrement envoûtant de Géza Anda pour la Deutsche Grammophon.
Les revoilà en second opus de l’album Meloclassic, non pas la gravure Capitol, mais celle réalisée le 28 janvier 1960 pour la Radio de Baden-Baden – même sens des atmosphères, même virtuosité sans ostentation, même clavier léger où se fait entendre un jeu délié à dix doigts, mêmes couleurs invraisemblablement irisées.
Les Scènes d’enfants sont de la même eau, tellement poétiques : Clara Haskil ne les aurait pas reniées. Et partout cette précision dans la mise en place : Firkušný ne laissait jamais rien au hasard, poursuivait son travail jusqu’à ce que dans le moindre détail tout fût absolument prêt.
Ce seront pourtant les Klavierstücke D. 946 de Schubert auxquelles je reviendrai le plus souvent : clavier hanté, spectral, d’une lumière de lune pâle, qui me plonge dans le romantisme le plus noir qui soit. Et soudain me revient en mémoire cet après-midi d’été passée à Saint-Lizier en compagnie de Rudolf Firkušný – David Lively l’avait invité à jouer dans le cadre de son festival, j’avais pris la route, trop heureux de pouvoir rencontrer mon idole.
De quoi avions-nous parlé ? De tout, à bâtons rompus. Mais à un moment, il s’était levé, prenant congé : « je dois travailler ». « Et quoi ? » avais-je glissé sans espérer de réponse. « Schubert, il me doit encore quelques réponses ».
LE DISQUE DU JOUR
W. A. Mozart (1756-1791)
Fantaisie en ut mineur, KV 396
Robert Schumann
(1810-1856)
Davidsbündlertänze, Op. 6
Kinderszenen, Op. 15
Franz Schubert (1797-1827)
3 Klavierstücke, D. 946
Enregistrements réalisés entre 1957 et 1964
Rudolf Firkušný, piano
Un album du label Meloclassic MC1032
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Photo à la une : de gauche à droite, les pianistes Rudolf Firkušný, Nikita Magaloff et Arthur Rubinstein, en 1960 – © DR