On aura tout écrit sur Arturo Benedetti Michelangeli, tout et son contraire et pas mal de lieux communs, d’ailleurs relatifs plus à sa personne qu’à son art.
Ma première expérience se déroula d’une manière assez incongrue, lorsque gamin, entre deux répétitions de la Maîtrise de Radio France, attiré par un son magique, je poussais la porte de la salle de concert : de grands trilles résonnaient, jaillissaient plutôt : un visage très blanc, impassible, barré d’une moustache sévère, semblait tout à fait détaché de ce que ses longues mains sculpturales produisaient sur le clavier. Arturo Benedetti Michelangeli essayait le piano qu’il allait jouer le lendemain pour L’Empereur de Beethoven.
Ce son si lumineux et pourtant si formé, ce son de marbre pur, je ne l’oublierai jamais plus, et l’entendrai une dernière fois au Châtelet lorsque le froid de la salle empêcha le pianiste de poursuivre plus avant dans les Ballades de Brahms. Mais quant à le retrouver au disque …
C’est bien là la difficulté première que d’ailleurs n’élude guère le copieux coffret publié aujourd’hui par Warner, où s’agrègent les rares gravures Telefunken et EMI avec celles autrement abondantes d’enregistrements de concert publiés jadis par Fonit Cetra (ce qui explique le passage des 4 CD de l’anthologie ICON aux 14 CD du nouveau venu) : littéralement ce son ne se reproduit pas.
Mais je fais avec, et parcours plutôt que les gravures de studio bien connues ces archives de la RAI – concertos ou récitals – dont émergent deux rencontres magiques – le Schumann dirigé avec art par Gianandrea Gavazzeni et un Premier Concerto de Liszt fulgurant emmené par Rafael Kubelik. Dans le Schumann, un chant intense et presque secret, dans le Liszt tout un vocabulaire chevaleresque et une imagination dans les accents, les traits, les scansions qui tordent le cou à la légende d’un Benedetti Michelangeli apôtre d’un classicisme sévère. D’ailleurs, dés qu’il s’immerge dans le romantisme, son art cherche un équilibre entre une certaine pureté du style (jamais strict pour autant) et une variété d’atmosphères, une palette expressive bien plus variées que ne le laisserait supposer la légende.
Tous les Chopin sont à ce titre exemplaires et souvent se parent d’une délicatesse, d’une attention aux détails qui montrent la profondeur du regard de l’artiste sur les partitions. Beaucoup de Chopin donc, des Schumann que d’aucun jugeront trop tenus surtout si on les compare à ceux de Dino Ciani – mais comment ne pas entendre à quel point ils inspireront ceux de Maurizio Pollini – trois Concertos de Mozart artistement ouvragés où le pianiste pense le son du clavier d’une manière singulière, allégeant le toucher pour créer des irisations de timbre que l’on retrouve également dans les Haydn avec Edmond de Stoutz, quelques sculptures baroques, des Rumores de la caleta d’Albéniz magiques, les célèbres et réordonnées Variations Paganini de Brahms, les impassibles et somptueux Concerto en sol de Ravel et 4e de Rachmaninov, L’Empereur avec Massimo Freccia, tous cèdent cependant le pas devant le récital Debussy capté en 1963 par la RAI de Turin. Les deux Livres d’Images (écoutez Mouvement, fascinant sur-place), Canope et Bruyères, et la tendresse si désarmante de Children’s Corner.
Un Maître ? Un Poète.
LE DISQUE DU JOUR
Arturo
Benedetti Michelangeli
The Warner Recordings
Oeuvres de Albéniz, J. S. Bach, Beethoven, Brahms, Chopin, Debussy, Galuppi, Granados, Grieg, Haydn, Liszt, Marescotti, Mompou, Mozart, Rachmaninov, Ravel, Scarlatti, Schumann, Tomeoni
Arturo Benedetti Michelangeli, piano
Orchestra Sinfonica di Roma della RAI
Gianandrea Gavazzeni (Schumann, enr. 1962), Massimo Freccia (Beethoven), dir.
Orchestra Sinfonica di Torino della RAI
Rafael Kubelik (Liszt), Mario Rossi (Haydn, enr. 1959), direction
Orchestra del Teatro alla Scala di Milano (Schumann, Grieg – enr. 1942)
Alceo Galliera, direction
Züricher Kammerorchester (Haydn, enr. 1975)
Edmond de Stoutz, direction
Philharmonia Orchestra (Ravel, Rachmaninov)
Orch. Sinfonica dell’Ente dei Pomeriggi Musicali di Milano (Mozart, K. 450)
Ettore Gracis, direction
Orchestra Alessandro Scarlatti (Mozart, K. 415 & K. 488)
Franco Caracciolo, direction
Un coffret de 14 CD du label Warner Classics 082564154883
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Photo à la une : (c) DR