Munich, Vienne, Berlin, Dresde ? Quelle ville, quel orchestre pour Bruckner ? Longtemps, et contre toute tradition, j’ai préféré la Staatskapelle de Dresde : les gravures des 4e et 7e Symphonies sous la direction d’Herbert Blomstedt puis la seconde intégrale d’Eugen Jochum, selon moi le sommet absolu de la discographie du cycle complet, résonnaient avec cette obscure clarté qui rendait justice à l’univers de l’organiste d’Ottobeuren : le romantisme noir marié à la lumière divine.
Le seul rival que je lui voyais était le Concertgebouw : Eduard Van Beinum y avait fondé une tradition de la fluidité qui magnifiait les architectures, Bernard Haitink l’y avait suivi, et Eugen Jochum lui-même était venu souvent à Amsterdam pour animer ce vaisseau de lumières sonores. Harnoncourt y traquera ses obsessions d’une musique qui parle, sans toujours que l’orchestre lui fasse écho.
Et voici qu’aujourd’hui Mariss Jansons retrouve le fluide magique et anime à nouveau cet incroyable orchestre-orgue. Car Bruckner selon le Concertgebouw n’attaque jamais, il rayonne, se colore, dresse des colonnes de son, étend des paysages d’harmonies.
Les effets qu’en obtient Mariss Jansons confinent au surnaturel : la 6e Symphonie se déploie comme un organisme vivant, modèle l’espace sonore, emplit le temps jusqu’à l’abolir. Littéralement, les barres de mesure n’existent plus. Et le lyrisme dans tout cela ? Le chant éperdu qui est la raison d’être de la grande symphonie de quatuor qu’est la 7e aura rarement résonné avec cette évidence : les phrasés en sont infinis, comme seuls Eugen Jochum, Sergiu Celibidache et Günter Wand, les premiers modelant le temps, le troisième le brisant, ont su jusque-là les faire entendre.
Et ces pianissimos irréels, ces crescendos sans appui, comme des flammes, ces forte sans exclamation nous conduisent loin dans la poésie de ces symphonies-mondes, dévoilant un brucknérien qu’on n’espérait plus. Puisse Mariss Jansons graver avec les néerlandais l’intégrale Bruckner qu’il nous doit désormais.
LE DISQUE DU JOUR
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 6 en la majeur, WAB 106
Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107
Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam
Mariss Jansons, direction
Un album de 2 CD du label RCO Live RCO 14005
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Photo à la une : © DR