Jascha Horenstein fréquenta assidument la classe de composition de Franz Schreker au Conservatoire de Vienne où il eut pour condisciple Karol Rathaus alors que triomphait sur la scène de l’opéra de la capitale autrichienne l’œuvre d’un jeune compositeur de dix neuf ans, Violanta d’Erich Wolfgang Korngold.

C’est dire si le nouveau volume de l’Édition Jascha Horenstein de Pristine illustre, en publiant trois enregistrements inédits au CD (et deux d’ailleurs inédits tout court), une part consubstantielle du répertoire de ce chef qui fut un apôtre de la modernité. Car Horenstein dirigea Schönberg, Janáček, Busoni, et fut le fer de lance de la Seconde École de Vienne et de nombre de compositeurs de la République de Weimar.

Le disque s’ouvre par le Prélude de Violanta de Korngold, enregistré avec le Royal Philharmonic Orchestra au Kingsway Hall le 2 juin 1965 dans une stéréophonie spectaculaire, et dévoile à quel point Horenstein savait être un sorcier des sons. La Troisième Symphonie de Karol Rathaus, captée ici lors de ce qui constitua sa tardive création, révèle une vaste partition expressionniste, écrite en écho aux horreurs du second conflit mondial, citant l’univers de Gustav Mahler, et à vrai dire un chef-d’œuvre dont l’oubli, malgré un bel enregistrement dû au regretté Israël Yinon publié en 2005, est d’autant plus incompréhensible que les catalogues des compositeurs interdits par le Troisième Reich ont été remis à l’honneur.

Mais le sommet de l’album reste l’hommage de l’élève au Maître : le Prélude à un drame, en fait l’Ouverture des Stigmatisés. Horenstein tend jusqu’à l’implosion le grand crescendo central, et la Musique de Carlotta – violons diaphanes – est un rêve pur, l’onirisme des sonorités vous emporte au loin.

Documents prodigieux sur l’art d’un des plus grands chefs du XXe siècle qui fut également un interprète inspiré de Richard Strauss : à la gravure bien connue des Metamorphosen avec l’Orchestre National de la Radiodiffusion Française enregistrée en 1953 pour Pathé – Horenstein les dirige comme un requiem, lent, large, expressif – Pristine ajoute un enregistrement inédit de la Sinfonia Domestica avec l’Orchestre Symphonique de la BBC le 19 février 1961. Lecture savoureuse, d’un humour corrosif, qui culmine dans l’incroyable charivari final où le chef ukrainien déchaine une furia délirante.

En fait, Horenstein est demeuré sa vie durant le jeune homme avant-gardiste, l’artiste audacieux qui faisait l’admiration de Wilhelm Furtwängler. Andrew Rose, en proposant de nouveaux repiquages des gravures viennoises des Symphonies Nos. 8 et 9 de Bruckner captées par Vox en 1955 et 1953, révèle à quel point Horenstein entendaient ces œuvres comme des partitions modernistes cherchant à s’extraire de la tradition.

Son Bruckner anguleux, âpre, fulgurant, a un demi-siècle d’avance sur celui pratiqué par ses contemporains. Pas de Dieux, sinon la Nature : le lyrisme de l’Adagio de la 8e Symphonie est absolument panthéiste. La Neuvième aussi expressionniste que le sera celle de Gustav Mahler – avec des Wiener Symphoniker repoussés au-delà de leurs limites – indique qu’Horenstein projetait dans toute musique l’image de son futur. Ces trois albums documentent l’art d’un visionnaire.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schreker (1878-1934)
Vorspiel zu einem Drama
(Prélude à un drame)
Karol Rathaus (1895-1954)
Symphonie No. 3, Op. 50
Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)
Violanta, Op. 8 – Prélude,
Karnevalsmusik

BBC Symphony Orchestra (Schreker, enr. BBC, 16 novembre 1957)
London Symphony Orchestra (Rathaus, enr. BBC, 13 mars 1956)
Royal Philharmonic Orchestra (Korngold, enr. BBC, 2 juin 1965)
Jascha Horenstein, direction

Un album du label Pristine PASC 434
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Richard Strauss (1864-1949)
Metamorphosen – Studie
für 23 Streichinstrumente
Sinfonia domestica,
pour grand orchestre

Orchestre National de la R.T.F (Métamorphoses, enr. Pathé, 30 juin 1953)
BBC Symphony Orchestra (Sinfonia, enr. 19 février 1961)
Jascha Horenstein, direction

Un album du label Pristine PASC 428
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Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 8 en ut mineur (enr. VOX, septembre 1955)
Symphonie No. 9 en ré mineur (enr. VOX, février 1953)

Wiener Symphoniker
Jascha Horenstein, direction

Un album du label Pristine PASC 429
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Photo à la une : © DR