Étrange le Concerto de Mendelssohn selon Arabella Steinbacher : sombré, fermé, dépressif, je crois entendre celui de Schumann qui irait bien mieux à son archet angoissé. Une pointe de vibrato de trop dans le jeu, des accents expressifs venus d’un autre temps et un accompagnement bien tiède de l’Orchestre de la Suisse Romande mené sans lyrisme par Charles Dutoit, j’allais abandonner l’écoute de ce disque lorsque résonnèrent les premières mesures du Concerto de Tchaikovski, très lentes, dessinant un paysage dans lequel le violon entre tel un vrai personnage d’opéra. Tatiana ? Plutôt la Lisa de La Dame de Pique, et son cortège de désillusions. Soudain Arabella Steinbacher est chez elle, chante, parle, s’empare du récitatif et charge son jeu.
S’il y avait un modèle à cette interprétation éloquente, ce serait celle de Misha Elman. Et si le Concerto de Tchaikovski était finalement ce poème dramatique que Steinbacher vit avec une intensité colorée d’amertume ?
Qu’en fit Adolf Brodsky qui hérita de l’œuvre après le refus de Leopold Auer ? En tous cas, les critiques de l’époque relatent qu’il marqua le public de la création viennoise par son jeu quasi expressionniste. Arabella Steinbacher en force les codes, et fait de l’Allegro moderato initial une vaste scène de chant. Bien vu, très construit, et finalement donnant à l’œuvre un visage saisissant que tant de versions romantiques avaient éclipsé. Cette fois, Charles Dutoit la soutient et l’entoure d’un commentaire précis – écoutez la clarinette et les glacis des cordes dans la Canzonetta – et fait éclater dans le Finale un feu d’artifice sauvage. Commencez donc par le Tchaikovski !
LE DISQUE DU JOUR
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Concerto pour violon et orchestre No. 2 en mi mineur, Op. 64
Piotr Illyitch Tchaikovski (1840-1893)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 35
Arabella Steinbacher, violon
L’Orchestre de la Suisse Romande
Charles Dutoit, direction
Un album du label Pentatone PTC5186504
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Photo à la une : (c) DR