Tout un train d’inédits de Benno Moiseiwitsch : trois CD, rien que cela, de gravures partagées entre l’Europe et les Etats-Unis, le répertoire solo et le répertoire concertant ! Mazette !

Je n’espérais plus entendre les sessions consenties à la BBC par le pianiste anglo-russe au long des années 1950 – il enregistra même un cycle Schumann en quatre soirées – puisque comme à son habitude, la Radio londonienne effaça soigneusement les bandes après leur diffusion !

Mais c’était sans compter un admirateur du pianiste, chauffeur de bus de son état, qui en capta chez lui les retransmissions. Voilà au moins de sauvés du désastre une Waldstein d’anthologie, toujours jouée dans le timbre, magique d’échos et de couleurs, que Moiseiwitsch complète de son mouvement lent initial, l’Andante favori, des Tableaux d’une exposition narratifs en diable, plein de caractère(s) et dont le pianiste ne réécrit jamais le texte comme le firent tant de ses contemporains, et les Kreisleriana, apparemment seules rescapées de ce fameux cycle Schumann. Et quelles ! Emportées, visionnaires, peintes à fresque, elles font mentir la légende de placidité qui accompagna le pianiste sa vie durant. Ecoutez Sehr rasch ! Le son est excellent, les bandes enregistrées « on the air » bien vieillies et les ingénieurs du son de Testament ont soigné les transferts.

Le second CD couple deux des partitions concertantes favorites du pianiste. L’Empereur capté en public le 19 juillet 1961 avec le Stadium Symphony Orchestra dirigé par Josef Krips, soit un peu moins de deux années avant la mort du pianiste, le montre sans fatigue, imposant un grand geste d’où les traits jaillissent, pleins, intenses. Ce jeu sostenuto est d’un autre âge, Krips lui répond avec une sorte de fureur qu’on ne lui connait guère ailleurs. Soirée exaltée et exaltante.

Si L’Empereur n’est pas demeuré immédiatement associé à Moiseiwitsch, la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov le fut longtemps. Le flegme naturel de son jeu en débrouillait la virtuosité avec une sorte de nonchalance que même Rachmaninov lui enviait.

Le 14 septembre 1946, sous la direction tendue et minérale d’Adrian Boult, Moiseiwitsch joue avec une fureur, une rage, une autorité – il faut entendre comment il fait sonner le Dies Irae – qu’il ne mettra plus à cette partition jouées ici avec une tension d’apocalypse ; la guerre encore toute proche y est probablement pour quelque chose.

Le troisième CD regroupe quatre interviews où le pianiste, connut pour la douceur de la voix et l’urbanité de sa conversation, charme ses interlocuteurs par sa modestie, et son souvenir d’accent russe derrière l’anglais. Il avoue entre autres son amour inconditionnel pour Schumann, le compositeur comme l’homme. L’ultime ITV du CD est menée par Jack Payne, il s’agit donc de la bande son de sa fameuse émission de télévision, Moiseiwitsch y joue à l’intention des noces d’or de Winston et Clémentine Churchill la Troisième Ballade de Chopin, la parant d’une sonorité de rêve.

Ensemble émouvant et fascinant, que tous les amoureux de Moiseiwitsch voudront posséder. Ceux qui ne le connaissent pas encore l’y découvriront tel qu’en lui-même : simplement l’un des plus importants pianistes du XXe siècle.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1828)
Sonate pour piano No. 21
en ut majeur, Op. 53 « Waldstein »
Andante favori,
en fa majeur, WoO 57
Concerto pour piano et orchestre No. 5 en mi bémol majeur, Op. 73 « L’Empereur »
Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Modeste Moussorgski (1839-1881)
Tableaux d’une exposition
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Rhapsodie sur un thème de Paganini, pour piano et orchestre
Frédéric Chopin (1810-1849)
Ballade No. 3 en la bémol majeur, Op. 47

Benno Moiseiwitsch, piano
Stadium Symphony Orchestra of New York (Beethoven)
BBC Symphony Orchestra (Rachmaninov)
Josef Krips, direction (Beethoven)
Adrian Boult, direction (Rachmaninov)

Un coffret de 3 CD du label Testament SBT3 1509
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Photo à la une : (c) DR