Lorsque je mis sur la platine les Songs & Airs de Purcell où Christopher Hogwood et ses amis accompagnaient Emma Kirkby – on devait être courant 1983 – j’eu un soupir d’enchantement et de déception mêlé.
Cette voix si pure, ces mots si clairs, cet art si peu cherché et pourtant d’un tel raffinement – Sweeter than Roses devint mon préféré de l’album illico, peut-être car elle caressait son chant dans les accords et les arpèges du luth d’Anthony Rooley – se heurtait illico à l’art dramatique, au pathos sublimé d’Alfred Deller. Finalement je revenais à l’idole de mon adolescence, mais pourtant je suivais disque à disque Emma Kirkby dont la voix m’avait déjà interloqué lorsque je la découvris au cours des années soixante-dix enchâssée dans la saga Dowland du Consort of Musicke.
Une fille ou un garçon ? Le plus troublant de cette voix pure mais jamais ingénue est sa capacité à un certain ton androgyne du timbre, quant elle le veut. Car sinon, elle retrouve tous les charmes d’une voix féminine, abandonnant le ton droit des garçons. Cette ambigüité savamment entretenue, comme toutes les autres composantes de son art, est un des charmes essentiels de Kirkby, dont les récitals publiés par L’Oiseau-Lyre et regroupés ici, ne se font que fugitivement l’écho, il faudra donc que vous cherchiez aussi ses enregistrements avec le Consort.
Mais retrouver d’un coup le fondateur The Lady Musick ou les albums de dialogue avec David Thomas et Martyn Hill provoque un grand coup de nostalgie : comme on s’attachait dans les années quatre vingt au répertoire élisabéthain et à celui de ses successeurs, jusqu’à Haendel. C’est de cette tendre odyssée que le coffret artistement composé et réédité témoigne, avec souvent des merveilles, parfois des errements – le disque voulu comme un portrait de Cecilia Young où la soprano met le même souffle glacé à des Haendel connus et des Arne beaucoup moins – et des écueils lorsque tardivement cette voix pour la chapelle ou le micro se crut douée pour Mozart. C’est entendu, elle se débrouille agilement d’un Exsultate, jubilate possible au disque mais où on ne l’eut simplement pas entendu dans une salle de concert. La pierre d’achoppement finale, un disque d’airs de concert de Mozart alors qu’elle eut pu seulement prétendre à Barberina, est oubliable sinon pour Nehmt meinem Dank.
Ouvrant le coffret Erato juste au sortir de cet éprouvant disque Mozart, je tremblais de crainte : voilà Kirkby de nouveau à la fin des années quatre-vingt. Les Airs allemands de Haendel me font souffrir, mais soudain la revoilà, subtile, brillante et tendre pour tout un album Dowland pliant sa voix dans les murmures du luth d’Anthony Rooley, ou dans de rares Robert Jones.
Le clou de ce joli album qui comme celui de L’Oiseau-Lyre reprend les pochettes d’origine, c’est le Septième Livre de Madrigaux de Giaches de Wert, disque mythique qui rendait enfin justice à l’éclatant prédécesseur de Monteverdi et ses musiques stupéfiantes : Kirkby soudain y retrouvait sa vrai place : soprano dans le Consort of Musicke, et avec quel art, quelle liberté, un supplément d’aisance que ses récitals en solo n’atteignent que par éclipse.
LE DISQUE DU JOUR
Emma Kirkby
The Complete Recitals
CD 1 : The Lady Musick
Avec Anthony Rooley, luth
CD 2 : Pastoral Dialogues
Avec David Thomas, baryton-basse – Anthony Rooley, luth – Trevor Jones, viola da braccio
CD 3 : Amorous Dialogues
Avec Martyn Hill, ténor – Trevor Jones, Alison Crum , violas da braccio – Anthony Rooley, luth
CD 4 : Duetti da camera
Avec Judith Nelson – The Consort of Musicke – Anthony Rooley, luth et direction
CD 5 : Purcell. Songs & Airs
Avec Christopher Hogwood, clavecin – Anthony Rooley, luth – Richard Campbell, viole de gambe
CD 6 : J. S. Bach. “Kaffe-Kantate”, & “Bauern-Kantate”
Avec David Thomas, baryton-basse – Rogers Covey-Crump, ténor
CD 7 : J. S. Bach. Cantates de mariage, BWV 202 & 210
CD 8 : Haendel, Arne & Lampe. Arias
CD 9 : Haendel. Italian Cantatas (HWV 81, 132b, 170 & 171)
CD 10 : Haendel. Italian Cantatas (HWV 136a, 137), Duetti, HWV 189, 192 & 196, Trio, HWV 201, Airs d’oratorio • Haydn. Airs de l’oratorio “La Création”
CD 11 : Mozart. Exsultate, jubilate K 165, Regina coeli, K 108 & 127, Ergo interest … Quaere superna, K 143
Avec le Chœur d’enfants de la Cathédrale de Westminster, le Chœur de l’Academy of Ancient Music
CD 12 : Mozart. Arias
Emma Kirkby, soprano
The Academy of Ancient Music (CDs 6-12)
Christopher Hogwood, direction (CDs 6-12)
Un coffret de 12 CD du label L’Oiseau-Lyre 4787863
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CD 1 : Giaches de Wert.
Il Settimo Libro de madrigali
CD 2 : Dowland.
The English Orpheus
CD 3 : Robert Jones, The Muses Gardin. Chansons pour voix et luth
CD 4 : Haendel, Abel, Arne, Boyce : A Vauxhall Gardens Entertainment
CD 5 : Haendel. Airs allemands
Emma Kirkby, soprano
The Consort of Musicke (CD 1)
Anthony Rooley, luth et/ou direction (CDs 1, 2, 3)
London Baroque (CDs 4, 5)
Un coffret de 5 CD du label Erato 082564611226
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Photo à la une : © Decca Records / Universal Music Group